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le savons ; mais je vous préviens que vous devenez un goujat. » La leçon fut comprise, et la figure du jeune homme interloqué se couvrit de la même teinte que les érables à l’automne.

Cet oubli ou ce dédain d’un passé dont, si j’étais Japonais, je serais plus fier que de mon chapeau haut de forme nous contriste encore davantage, lorsque des Facultés supérieures nous descendons aux collèges et aux écoles. Il importe peu que les Japonais n’aient pas établi de distinction sérieuse entre ’l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire : ce n’est point sur la technique de la pédagogie, si souvent illusoire, qu’il les faut chicaner. Mais reportez-vous un instant aux innombrables écoles qui fleurissaient dans leurs âges de barbarie : elles étaient admirables. Des bonzes, des prêtres shintoïstes, des samuraï retraités ou sans maître, des dames de la Cour trop vieilles pour se marier, ceux qui le voulaient enfin, ouvraient des terakoya, où les parens envoyaient leurs enfans, filles et garçons, de huit heures du matin à deux heures de l’après-midi. On y enseignait tout ce qu’une honnête personne devait savoir. Les punitions y étaient plus morales que matérielles, encore que ces barbares ne craignissent point de flageller quelquefois l’écolier récalcitrant avec un rouleau de carton qui faisait au bas de son dos un bruit horrifique. Ils poussaient aussi la cruauté jusqu’à le planter immobile sur sa petite table, une tasse remplie d’eau dans une main et, dans l’autre, un bâton d’encens allumé. Ces terribles châtimens suffisaient à maintenir l’ordre et l’obéissance. On eût rougi d’assimiler l’éducation à une marchandise et les parens payaient le maître, selon leur fortune, en argent ou en nature. Ils le payaient surtout en affectueuse considération. Point de fête familiale où la place d’honneur ne. lui fût réservée. Il portait les deux sabres. On tenait moins peut-être à ce qu’il fût un savant qu’un homme de bien. Ces gens arriérés ne connaissaient point de plus pures lumières pour éclairer la route de leurs enfans que la dignité des manières et la vénérable ’pauvreté. Et les enfans vouaient un culte à ces maîtres d’école qui sentaient leur gentilhomme et qui font si grande figure sur les planches héroïques de l’ancien théâtre. Je n’ai jamais rencontré de gratitude d’élève plus pieuse et plus persistante que dans le cœur des vieux Japonais.

Aujourd’hui, les professeurs, fonctionnaires de l’État, brevetés et diplômés, touchent des appointemens dont la cherté croissante