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puisque, née d’hier, mêlée de jeunes théoriciens et de vieux ignorans, dépaysée sur ses sièges européens, elle n’a point acquis d’autorité morale. Et, jusqu’ici, ses arrêts, souvent bizarres, n’émeuvent que les journalistes courts d’entrefilets. Le peuple s’en défie au point de tout endurer plutôt que d’en appeler à son grimoire. Pour moi, si j’étais un jour justiciable de ces magistrats, je ne me fonderais guère sur leur esprit de justice, mais, traduit à leur barre, j’espérerais tout de leur amour-propre, même l’équité.

Le silence apathique où fonctionne le nouvel appareil judiciaire enveloppe l’Université, ses Facultés de Droit, des Sciences, des Lettres, de Médecine et son École d’ingénieurs. La première fois que l’on me conduisit dans ces jardins spacieux, dont les pelouses, les pièces d’eau et les bouquets d’arbres séparent de vastes bâtimens revêtus en briques rouges, j’eus l’impression d’avoir franchi le seuil d’une colonie étrangère. La neige qui les recouvrait sous un pâle soleil ajoutait encore à leur solitude. Je les revis au printemps : même tranquillité, et, dans l’éveil de la nature, même absence de vie. À la porte d’un des chalets occupés par des professeurs européens, une Allemande penche son front sur un métier de brodeuse. Les étudians s’en vont d’un pas pressé, isolément, sans que rien les retienne autour de leurs foyers d’études.

Travaillent-ils ? On met à leur disposition des bibliothèques, des laboratoires, des salles de lecture, des musées, et les médecins, les jurisconsultes, les ingénieurs qui en sortent font à peu près face aux nécessités présentes. Mais les journaux japonais constatent eux-mêmes que toutes les sciences qui ne mènent pas rapidement à des fonctions bien rétribuées, comme la philosophie et la littérature, — les seules jadis où se manifestait le feu sacré du Japonais, — végètent et languissent. Ces jeunes gens ne conçoivent plus ou ne comprennent pas encore la beauté désintéressée du savoir. Ils obtiennent leurs diplômes avec d’autant moins de difficulté que le nombre des places se multiplie ; et, une fois nantis, ils anticipent sur le repos éternel. L’Université prépare des générations de demi-savans dont l’insolence et le pédantisme menacent l’avenir. Et elle lâche aussi à travers le pays une volée de bohèmes et de déclassés.

Au quartier de Hongo, le Quartier Latin du Japon, pour trois ou quatre élèves qui suivent leurs cours avec une tranquille et