Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Chaque fois que les voiles qui nous la cachent se soulèvent un instant, on la surprend dans son intérieur japonais penchée sur les travaux familiers qui furent la noblesse et la parure des femmes de son empire. Elle a remis en honneur la culture domestique des vers à soie, et il semble bien que, dans ses rares visites au collège des Filles Nobles, elle s’attache de préférence à tout ce qui peut entretenir chez ses pupilles les goûts modestes d’où leurs aïeules ont tiré d’infaillibles réconforts.

Quant au Prince impérial, qui n’est que son fils adoptif et dont la mère habite un autre palais, il craint moins la lumière et a déjà fait quelques pas hors de la pénombre sacrée. Lorsque, à l’époque de sa majorité, il reçut les hommages des représentans étrangers, notre ministre, M. Harmand, fut étonné de l’entendre lui souhaiter la bienvenue en français et put s’entretenir avec lui sans le secours d’un truchement. Son état-major d’officiers et de gouverneurs s’applique discrétement à former un monarque, sinon plus constitutionnel, du moins plus instruit. On satisfait, dans la mesure où les traditions n’en seraient point choquées, sa curiosité qui est vive. On se croit même parfois obligé de la modérer. Les Japonais ont peur d’un maître trop clairvoyant ou trop désireux de se produire. La première phrase d’un des derniers manifestes du parti populaire : Nous acceptons la cour… sonne à leurs oreilles comme un coup de tocsin. Les radicaux « acceptent la cour, » tant que sa circonspection et sa neutralité la leur rendent acceptable. Habitué à la réserve, le Prince n’en a pas moins une grâce juvénile qui parle à l’imagination de la foule.

Après lui l’ombre s’épaissit : les Princes de la maison impériale, héritiers éventuels, les Arisugawa et les Kannin, malgré leur séjour en Europe et leur passage à Saint-Cyr, leurs grades militaires et leur courage guerrier, isolés dans leur palais, presque inconnus, ne communiquent au loyalisme japonais aucune chaleur, et n’accéderaient au trône qu’entre cieux haies de froids respects et de vagues défiances.

Autour d’eux les anciens daimios, déjà clairsemés, indifférens ou réfractaires à la Révolution, ruminent leur dernière heure dans un silence où de vieux serviteurs font les gestes d’autrefois. Ils s’ensevelissent, oubliés et anéantis, sous les éboulemens du passé et sous les étranges végétations de la vie moderne. Quand l’un d’eux s’éteint, on le déterre pour l’enterrer au cimetière