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en revue, mais le secret de son génie réside peut-être dans l’intensité de cette vie intérieure, comme il semble l’avouer lui-même : « Je suis tel que lorsque amour m’inspire, je note, et sur le mode qu’il me dicte au dedans, je vais répétant au dehors[1]. »

Au poète Buonagiunta de Lucques, il confie son secret en ces termes. En effet, aucun don n’apparaît plus mystérieux que celui de la poésie. Même dans les œuvres où sa manifestation se fait le plus éclatante, il est presque impossible de la définir. Il y a le vers, il y a le rythme, soit ! Mais il y a bien d’autres choses encore. Nous la connaissons partout où les mots prennent des ailes, jusque dans la prose. N’éclaire-t-elle pas d’une incomparable lueur de beauté les mythes de Platon ? Ne déborde-t-elle pas des sonnets, des ballades et des canzoni de la Vita Nuova, jusque dans leur commentaire dantesque ? D’où provient-elle donc ? Dante nous a répondu. Son art est un art de vie intérieure, il le constate. Rien n’est plus léger, rien n’est plus subtil, rien n’est plus puissant qu’un souffle revêtu de la voix humaine, et les mots dans lesquels une âme a vibré, n’ont qu’à résonner sur des lèvres vivantes pour apparaître éternellement jeunes, beaux et radieux. « Je suis ainsi que lorsque amour m’inspire, je note… » Dante nous déclare que la poésie, comme tous les dons intellectuels et moraux vient des profondeurs de l’âme, et d’au delà. Il nous enseigne la formule d’un art, et cette formule d’art étant une formule de vie, peut expliquer l’action des plus grandes âmes de l’humanité. Pour être entièrement valable, il semble que toute parole doive provenir d’un silence, et toute action d’un recueillement. Combien y eut-il de silences autour des paroles de Dante, et combien de recueillemens autour de ce poème qui fut un acte sublime ? Il se trompa quelquefois, il commit certaines injustices, il était homme et faillible, mais il savait, — c’est là son secret - écouter et noter les chants qu’amour inspirait à son cœur. Les circonstances extérieures ne paraissent pas avoir souri, d’abord, à l’enfance du poète[2]. Et pourtant elles l’ont marqué d’un sceau spécial. Il est peu parlé de son père. Sa famille était guelfe. Il y eut des dissensions civiles et des proscriptions politiques autour de son berceau. Sa mère n’a laissé dans la mémoire des hommes que le souvenir

  1. Purgatoire, XXIV.
  2. V. Michele Scherillo, Alcuni capitoli della biografa di Dante. Turin, E. Loescher, 1896.