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Les solitaires, répudiant la basse humanité, voulaient communiquer entre eux par l’esprit, dans ce royaume des idées qui s’appelait pour Guido le royaume d’amour ! Et l’on a cette impression que, malgré ses talens, sa science, son prestige, sa beauté, Guido Cavalcanti fut, en réalité, profondément malheureux. On l’évoque pourtant bien en marche dans les rues de Florence, ce brillant Florentin, beau, hardi, dédaigneux, laissant les regards admiratifs tomber sur lui du haut des balcons, tel, en un mot, que pourrait nous le représenter un sonnet de son contemporain, Diuo Compagni[1].

Il serait alors facile de lui prêter l’attitude du saint Georges de Donatello. Mais sa physionomie est complexe « Guido Cava Icanti, platonicien, épicurien, irréligieux, » a-t-on dit. De tels hommes déconcertent naturellement le « vulgaire » et s’amusent à le déconcerter. D.-G. Rossetti déclare que l’irréligion de ce prétendu sceptique peut sembler parfois assez discutable, et que certains passages de ces œuvres nous amèneraient sur ce point à des conclusions variées. Les loisirs du Florentin ne connaîtront point l’insouciance païenne, pas plus que ne la connaîtra plus tard la coquetterie de Monna Lisa : des profondeurs mêmes de l’âme devinée par Léonard de Vinci montera cette tristesse douce qui rêve dans les yeux, et qu’Athènes n’eût jamais comprise. Le lyrisme de Guido met en jeu des fibres douloureuses que l’antiquité ne sut émouvoir. Ne se le représente-t-on pas, ce Guido, conquérant d’un salut le cœur de Pinella, jeune fille amoureuse dont le message fut traduit en vers par le poète Bernardo da Bologna ? Peut-être l’imagine-t-on encore mieux dans le rôle que lui prête une anecdote contée par Boccace, écartant, avec une impertinence voilée de courtoisie, une troupe joyeuse d’élégans cavaliers qui cherchaient à l’enrôler parmi les leurs. Et le cadre est si beau pour cette rencontre, sous les murs du Baptistère, où Guido méditait, penché sur les grands tombeaux de, marbre qui s’y trouvaient alors, méditation interrompue par la présence de cette brillante te chevauchée.

Le plus grand événement de sa vie sentimentale fut peut-être ce voyage à Toulouse qui lui fit rencontrer Mandetta. Son infidélité n’est-elle qu’un symbole ? Mandetta, la jeune fille toulousaine, ne paraît cependant pas une abstraction ; elle allait prier

  1. Voyez D.-G. Rossetti, Dante and his circle.