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Elle eut pour adeptes saint Bonaventure, auquel on attribue l’Ave, lilium speciosum, poète jusque dans le titre de ses opuscules : les Six ailes des Séraphins, les Sept chemins de l’Éternité, l’Itinéraire de l’Ame à Dieu ; Fra Jacomino, cité par M. Rodolfo Renier comme le précurseur de Dante (il chanta l’Enfer et le Paradis) ; Jacopone, auteur mystique de laudes qui furent aimées en Ombrie, sur le sol fertile où elles avaient fleuri, et qui n’épuisèrent point la verve de l’écrivain ; il composa des satires, des invectives, et aussi de pieuses hymnes latines : le Stabat Mater dolorosa et le Stabat Mater speciosa lui furent assez communément attribués. À l’inspiration franciscaine sont dus les gracieux et populaires récits des Fioretti, qu’Ozanam appelle si joliment l’épopée des humbles !

Dante nous dépeint les premiers Franciscains « en silence, sans escorte, marchant l’un devant l’autre[1]. » Ils avaient des frères dans toute la chrétienté. Les Fioretti nous donnent de cette fraternité l’illustration la plus touchante, en nous décrivant la rencontre de saint Louis et du frère Gilles, qui, sans se parler, s’étaient si bien compris ! Ozanam y reconnaît un emblème de « cette société chrétienne qui ne met plus de barrières entre le roi et le mendiant. » Il y a là comme une atmosphère de Pentecôte. Dante se souvenait-il de ce joli trait, alors qu’il écrivait « De tout mon cœur, et avec ce parler qui est le même en chacun, je fis à mon Dieu l’holocauste de remerciemens dus pour cette nouvelle grâce[2] ? »

Le saint patriarche François fut appelé « chevalier du Crucifié, gonfalonier du Christ, connétable de l’armée sainte, » tandis que la chrétienté proclama sainte Claire « duchesse des pauvres, princesse des humbles ; » et ces raffinemens ingénus du moyen âge nous donnent l’impression vraie de la noblesse spirituelle, saluée par les hommes d’alors, et dont la douceur a souvent fait trembler l’orgueil de la noblesse féodale.


III

En Sicile, la poésie régnait dans les palais et chantait dans les cabanes. Il y avait une poésie populaire, en laquelle M. d’Ancona croit voir une descendante de la Muse antique des pastorales.

  1. Enfer, ch. XIII.
  2. Paradis, ch. XIV.