Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sa lumière ? On conçoit que Dante ait fait de son Virgile le symbole de la raison naturelle ; il y avait un souvenir classique ; il en constitue un emblème philosophique, et, par le don divin qui l’a sacré poète, il évoque un inoubliable type de beauté suave et de grâce courtoise[1]. Un voile de mélancolie s’étend sur ce visage. Mélancolie qui convient doublement au poète latin et au personnage allégorique.

« Cet empereur qui règne là-haut, parce que je fus rebelle à sa loi, ne veut pas que l’on parvienne par moi à sa cité. » Où Virgile s’arrête, intervient Béatrice, et les hautes aspirations du mysticisme chrétien s’élancent victorieusement à travers un monde d’harmonie, de lumière, de splendeur.

II

Les influences mystiques de l’Ombrie ont imbibé d’une fraîcheur et d’un parfum les sommets de l’œuvre dantesque. D’ingénieux érudits nous ont, en quelque sorte, tracé la carte poétique de l’Italie avant la naissance de l’Alighieri. Tous ont salué l’école mystique ombrienne. Sans doute, il faut la mettre à part, car elle chante pour répandre le trop-plein de l’harmonie intérieure, sans vouloir faire œuvre littéraire. Autrefois, ceux qui voyaient au loin, sur l’horizon du moyen âge, se profiler une cathédrale de rimes, — énorme et délicate, — subissaient, on l’a dit, l’illusion du voyageur n’apercevant de la ville lointaine que la cathédrale, et songeant que cet édifice s’élève dans un désert, En poursuivant sa route, il découvrirait toute une cité. « Aujourd’hui, disait Ozanam, les solitudes du moyen âge se peuplent et s’éclairent. La Divine Comédie ne cesse pas de dominer les constructions poétiques qui l’entourent… »

Depuis Ozanam, on a beaucoup regardé ces humbles édifices, simples petites maisons où quelque esprit de poète, — de ces esprits dont Platon fait une chose ailée, subtile et sacrée, — a logé ses rêves d’un jour. Foyers silencieux où subsiste quelque ornement, quelque détail, touchant indice d’une existence oubliée, tandis que la cathédrale indestructible ouvre encore chaque jour ses portes à la foule des pèlerins venant se prosterner sur

  1. Comparetti, Virgilio nel medio evo. Florence, Bernardi Seeber ; Michel Scherillo : Dante e lo studio della poesia classica, dans Arte, scienza e fede ai giorni di Dante, Milan, Hoepli, 1901