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la vie médiévale ; à travers cette vie médiévale, nous reconnaissons, l’intégrité de l’âme humaine. Nous devons beaucoup à des travaux récens, qui, élucidant plusieurs points spéciaux, mettant en relief plusieurs personnages cités, contribuent à l’intelligence approfondie du poème incomparable.


I

Il est impossible d’isoler complètement une individualité, sans lui retirer quelque chose de sa forme vivante et vraie. L’homme se rattache au passé, se relie au présent, est responsable de l’avenir. Il tient à ses aïeux, à ses contemporains, à sa postérité. Certaines idées flottent dans l’atmosphère même qu’il respire. Avant d’être créateur, Dante s’imprégna donc de la culture de son temps et de son milieu. Son œuvre est une somme poétique. Ozanam l’appelle « le saint Thomas de la poésie ; » le moyen âge aimait les sommes, et toute cathédrale en est une, de quelque façon. On sait que Dante adopta, sur Aristote, l’opinion alors, répandue ; il l’appelle « le maître de ceux qui savent. » Il ne s’affranchit jamais de la terminologie ni de la méthode du philosophe péripatéticien. À ses côtés, il place Socrate et Platon. Vraisemblablement, il avait lu le Timée. En outre, la philosophie platonicienne lui était apparue à travers Cicéron et Boëce. Le Traité de l’Amitié et la Consolation prirent pour lui le caractère d’une révélation intime. Il ne les ouvrit qu’après la mort de Béatrice. Incarnant en lui le génie symbolique du moyen âge, il ne tarda pas à personnifier cette philosophie qui lui semblait si douce. Il ne vit pas en elle une muse païenne aux yeux de marbre, incapable de verser des pleurs ; il en fit une héroïne chrétienne, une jeune dame pâle aux yeux apitoyés, une exquise figure de la Vita Nuova, celle à qui sont dédiés quatre des plus beaux sonnets. Elle n’est point une déesse ; elle est une créature de rêve, mais tout imprégnée d’humanité, vivante, émue, pâlissante, et, par-dessus tout, compatissante. M. de Gubernatis croit reconnaître sous cet aspect Gemma, la future épouse du poète. La Pietosa, c’est le nom qui lui convient, alors que Béatrice apparaît comme la Gloriosa. Cette prose austère du Convito, quand il s’agit de la Pietosa, garde un reflet de son charme féminin. Alighieri, en cet ouvrage, dit de la philosophie « Je l’imaginai comme une noble dame, et je ne pouvais me