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de la faveur du maréchal d’Ancre ; sa conduite, pendant les longues années qui séparent sa chute de son second ministère, avait pu paraître suspecte ; tout le monde savait que le Roi, qui l’estimait peut-être, ne l’aimait pas. Cependant l’éclat de son intelligence était tel qu’il éblouissait les yeux et forçait les suffrages. On savait pertinemment qu’il avait un génie extraordinaire, avant qu’il l’eût déployé. Son regard pénétrait les esprits. Une sorte de magnétisme rayonnait de lui. D’une main souple, il dénouait les difficultés et les humeurs. Sa présence était active. Il parlait : c’était une sirène. Il avait toujours raison c’était un maître,

Cette année est, d’ailleurs, une des plus pitoyables de notre histoire. Elle se consume en luttes vaines, en intrigues médiocres, en un confus amas d’erreurs, de fautes et de manèges mesquins, tandis qu’autour de la France, les événemens les plus graves se développaient et montaient comme une puissante et désastreuse marée.

Le Roi est rentré à Paris. Il y vit dans l’inaction et dans la mauvaise humeur, dégoûté de lui-même et des autres, Assez soucieux de son devoir de roi pour sentir qu’il y a mieux à faire que ce qu’on fait, trop inexpérimenté et trop timide pour discerner et décider ce qu’il convient de faire, il cherche des conseils qu’il ne se résout pas à suivre, Sa méfiance est toujours en éveil. D’ailleurs, il n’est pas heureux, son ménage ne va pas. La reine Anne trompée par des amis imprudens se prête mal volontiers à ses fantaisies d’enfant triste et exigeant ; elle est jeune ; elle voudrait rire, s’ébrouer ; elle cherche des jeunesses pareilles à la sienne. Lui, survient parmi ces gaîtés ; renfrogné et morose il boude dans un coin. Sa présence est une gêne ; il le sent ; il le voit ; il souffre. Et puis, on dirait que l’approche de la femme l’effraye.

D’ailleurs, la jeune Reine ne l’encourage pas : deux fois, elle devient grosse ; deux fois par imprudence, par jeu, par gaminerie, elle se blesse, c’est comme un sort jeté sur le ménage royal. Le Roi est un mari médiocre ; la Reine, qui s’est formée tardivement, appartient à cette famille d’Espagne si affinée, si épuisée, qu’on se demande si l’arbre peut encore porter des rejetons. Le frère du Roi, Monsieur, Duc d’Anjou grandit. On s’habitue à voir, en lui, l’héritier présomptif. Le Roi commence à le prendre en jalousie ; la jeune Reine regarde avec