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la consécration de la situation qu’il occupe dans le monde, dans l’État ; c’est l’entrée dans les Conseils et la voix dans les délibérations importantes. C’est une situation éclatante, une autorité indiscutée, une ressource peut-être, en cas de péril ; pas autre chose. Observez que pas une fois dans tout le reste de sa carrière, ce cardinal de l’Église romaine n’a manifesté l’intention d’aller à Rome. Il négligea complètement le voyage ad limina. À quelque temps de là, il y eut un conclave : personne n’eut l’idée de l’y envoyer tenir sa place ; il était convenu que cet homme n’était pas de ceux dont le suffrage se mêle avec celui des autres. Parmi ceux qui le félicitent, Balzac traduit, en termes excellens, une impression qui est celle de tous : ce qu’on attend de lui, ce sont des actes. Ce bon La Cochère, heureux et fier de son succès, écrit de Rome : « Il me semble que je n’ai plus rien à désirer en ce monde, puisque M. de Luçon est cardinal… Il faut bien que Dieu le destine à la continuation des grandes actions auxquelles il s’est déjà plusieurs fois employé, puisqu’il l’a élevé à la dignité qu’il mérite, contre les plus puissans empêchemens qui se soient peut-être jamais rencontrés à une pareille occasion… » Dès la première heure, pour tous et pour lui-même, il est reconnu et consacré « Cardinal d’État.»

À peine nommé, il se met, par un mouvement naturel, à sa vraie place, c’est-à-dire parmi les grands seigneurs-nés. Sa dignité nouvelle ne fait qu’achever sa nature. Il a trente-sept ans maigre, élancé, la barbe et les cheveux bruns, l’œil clair et pénétrant, il est encore beau, si la beauté est compatible avec une si évidente et si intimidante supériorité. Il a le teint mat des hommes que les veilles consument, que les pensées rongent et qui souffrent. Il est, exactement, de ceux dont on dit que la lame use le fourreau : et, en effet, long, mince et flexible, il semble une épée. Il met le bonnet rouge de cardinal sur sa tête triangulaire. Il s’enveloppe des plis abondans de sa pourpre. Ainsi il entre, tout rouge, dans l’histoire, réalisant la plus complète et la plus puissante physionomie de « cardinal » que l’imagination et l’art aient jamais pu rêver.

Aussitôt qu’il eut appris la nouvelle de son élévation à la pourpre, Richelieu quitta la Reine pour aller remercier le Roi. Il descendit, encore une fois, ce cours du Rhône qui le vit si souvent aller et venir, selon les diverses phases de sa fortune. Il trouva le Roi à Tarascon, le suivit à Avignon, où il retrouva