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aux hommes, pourvu seulement que ceux-ci ne se méprennent pas sur sa véritable portée. Car c’est là une seconde conclusion, qui ressort de presque tous les chapitres des Mémoires d’un Médecin : bien loin de vouloir, comme on l’a prétendu, nous mettre en défiance contre la médecine, l’auteur s’est évidemment proposé de nous réconcilier à jamais avec elle, en nous apprenant à la connaître pour ce qu’elle est, et à n’attendre d’elle que ce qu’elle peut nous offrir. Il nous affirme que c’est nous-mêmes qui, par notre attitude à l’égard des médecins, leur imposons la plupart des défauts que nous avons coutume de leur reprocher. « Que les hommes cessent de croire à l’infaillibilité de la médecine ; et la médecine, dépouillant toute prétention à l’infaillibilité s’occupera plus sérieusement de soulager leurs maux ! » Voilà ce qu’il semble nous dire, à toutes les pages de son livre. Et, certes, un aussi sage conseil ne manquerait pas de produire son effet, si les hommes étaient une espèce raisonnable, pouvant s’accommoder de vivre en tête à tête avec la vérité. Mais je crains que, comme ils attendent trop de la médecine, le docteur Veressaïef n’attende trop d’eux, à son tour. Ce sont eux qui, par nature, ont besoin d’être trompés. Ils ont besoin que l’homme qui les soigne ait, sur la tête, un bonnet pointu, que, même quand il ne sait rien, il prétende tout savoir, et que, même quand sa science lui conseille de ne rien faire, « il écrive des ordonnances et fasse des opérations, ut aliquid fiat. » Et tout porte à croire qu’ils auront ce besoin sans cesse davantage, à mesure que, en leur ôtant l’espoir d’une vie future, on les déshabituera de considérer leur vie terrestre comme la chose passagère, fragile et médiocre qu’elle est.


T. DE WYZEWA.