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Mais il y a, dans son livre, un chapitre d’une portée tout à fait exceptionnelle : celui où il se demande, à notre intention, quelles sont actuellement les ressources de la médecine. Que sait-elle de l’origine des maladies, de leur marche, et des moyens de leur guérison ? D’une façon générale, au dire de l’auteur des Mémoires d’un Médecin, elle n’en sait rien, ou presque rien.


Voici devant moi cet organisme vivant, chose pour moi mystérieuse et impénétrable ! Quelles forces le régissent, quelles actions s’accomplissent en lui ? En quoi consiste l’effet des remèdes que j’y introduis’ ? De quelle manière y naissent et s’y développent les maladies ? Le bacille de Koch y provoque la phtisie ; un autre bacille, presque tout pareil à celui-là, y provoque la diphtérie : pourquoi cela ? J’injecte sous la peau d’un malade une solution chimique ; elle circule indifféremment par tout le corps, à l’exception d’un seul centre, qu’elle excite aussitôt : je sais cela, mais je n’ai aucune idée des conditions chimiques qui rendent possible un tel phénomène. Une migraine est produite par une irritation du grand sympathique, produite elle-même par un état général d’anémie. La belle explication ! Mais comment et pourquoi, dans ce cas particulier, l’anémie a-t-elle irrité le grand sympathique ?

Et où résident, dans l’organisme, les forces préservatrices qui luttent contre la désorganisation, et à qui j’ai le devoir de venir en aide ? Et comment vont agir, sur le spasme du grand sympathique, ce mélange de phénacétine et de caféine, sur l’anémie ce fer, que je vais prescrire à mon malade ? Et le malade est là, devant moi, et j’entreprends de le guérir, et peut-être parviens-je en effet à le guérir : mais en même temps je découvre que je ne comprends rien ni à ce qui le fait souffrir, ni à la façon dont je l’en guéris.

Je n’ai point la moindre idée des grandes fonctions communes à tous les organismes humains ; et, cependant, chaque malade me présente un ensemble de fonctions absolument spécial, et différent de la règle commune. Que puis-je savoir d’elles ? Deux hommes également sains en apparence se mouillent les pieds, au menu ; moment : l’un d’eux prend un rhume, l’autre, un rhumatisme articulaire aigu. D’où vient cette différence ? La dose maximum de morphine est de trois centigrammes ; or, tout récemment, un médecin a injecté sous la peau d’une adulte, dont l’état général était parfaitement sain, trois milligrammes de morphine, et elle en est morte. Pour expliquer ce genre de faits, la médecine a un mot, les idiosyncrasies ; mais de quel usage peut m’être ce mot, pour m’apprendre à reconnaître les faits de ce genre, et à en tenir compte ?


Pour certaines maladies, en vérité, la médecine permet un diagnostic à peu près positif : ainsi la présence de bacilles particuliers révèle la tuberculose, la fièvre typhoïde. Mais ces maladies ne sont malheureusement qu’une infime minorité, comparées à celles dont le