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des ordonnances et font des opérations, ut aliquid fiat, afin que l’on croie qu’ils savent quelque chose. Et le jeune homme se rappelle, amèrement, les paroles du Méphistophélès de Gœthe : « L’essence de la médecine est facile à concevoir. C’est une science qui approfondit le microcosme et le macrocosme, pour, enfin, laisser aller toutes choses comme il plaît à Dieu. »

Et puis, un jour, de nouveau, le point de vue change. Chargé d’établir un diagnostic, le jeune homme observe, compare, réfléchit, et, après tout cela, déclare audacieusement à son professeur que le diagnostic lui paraît impossible, les symptômes pouvant se rapporter également à quatre ou cinq maladies. Le professeur examine le malade, à son tour ; et quelques minutes lui suffisent pour découvrir, au moyen de petits faits en apparence insignifians, le caractère véritable de la maladie. Le malade meurt ; on le dissèque : et le diagnostic du professeur se trouve entièrement confirmé. Encore deux ou trois expériences du même genre, et rien ne subsiste plus des dispositions sceptiques du jeune étudiant. Jusqu’à la fin de ses études, maintenant, tout ce qu’il verra et tout ce qu’il lira ne va plus servir qu’à fortifier en lui la foi dans le présent, mais surtout dans l’avenir, de la médecine. Il se dit bien qu’autrefois il avait tort d’attendre tout de la médecine, tandis que désormais il n’attendra plus d’elle que le beaucoup dont elle est capable. En réalité, et sans se l’avouer, il est tout prêt à croire que ce « beaucoup » est très proche de » tout. » Et lorsque, après six ans d’études, il obtient le diplôme de docteur en médecine, il se tient pour absolument digne d’user, suivant les termes mêmes du diplôme, « de tous les droits et privilèges que, de par la loi, ce titre lui confère. »


Il quitte Saint-Pétersbourg et va pratiquer la médecine dans une petite ville de province. Mais là, tout de suite, il s’aperçoit que ses études ne lui ont rien appris. Il a vu soigner des maladies étranges et exceptionnelles ; mais les cliens qui le consultent ont des maladies toutes simples, toutes banales, et contre lesquelles il ne sait que faire, ayant toujours négligé de les étudier. Il ne sait, non plus, ni placer des ventouses, ni ouvrir un abcès, bien qu’il ait assisté à des opérations désormais fameuses. Il se trompe dans ses diagnostics, il se trompe dans ses ordonnances : surtout il se trouve désemparé devant la personnalité de ses cliens, n’ayant appris ni à tenir compte de la différence des caractères moraux, ni même à tenir compte de cette différence des tempéramens physiques qui fait que, en réalité, chaque malade représente une maladie spéciale. Un jour, six mois