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s’adressent presque toutes les réserves : la pièce fait honneur à l’observateur, au moraliste, à l’écrivain.

Si la soirée est bonne pour l’auteur, elle ne l’est guère pour la Comédie-Française. La façon dont a été monté le Marquis de Priola est des plus médiocres. La mise en scène laisse beaucoup à désirer, notamment au premier acte. L’interprétation est très faible.

Faisons une exception pour Mme Bartet. Elle a été délicieuse, non pas comme à son ordinaire, mais autrement encore. Elle n’a guère qu’une scène, celle du second acte : elle l’a jouée à ravir. Il est impossible de la composer avec plus d’art, de la nuancer avec plus de finesse. Il faut avoir entendu Mme Bartet prononcer un certain « Bigre ! » Et il faut entendre de quel ton elle prend congé du marquis. Celui-ci ayant conclu qu’elle restera pour lui une amie : « Et une bonne, je vous en réponds ! » réplique cette amie. Dans ces quelques mots, l’artiste a su faire tenir tout un infini de dépit et de rancune.

Disons encore que M. Coquelin cadet est amusant dans un rôle de bon pitre. Ce sera la part largement faite à l’éloge. Les rôles de femmes sont tenus comme ils pourraient l’être en province. M. Dessonnes est un jeune premier qui ne manque pas de chaleur, mais qui manque totalement d’expérience. Au surplus, c’est à M. Le Bargy qu’il faut faire la principale querelle.

M. Le Bargy est un artiste de beaucoup de talent. Il a des qualités décomposition, une intelligence, une distinction, un mordant qui sont des dons de premier ordre. L’estime que nous en faisons nous oblige à lui dire qu’il est en train de se fourvoyer et de faire fausse route. Dans le rôle du roi Christian de Struensée, il avait fait preuve d’une puissance qui a été une révélation pour le public et probablement aussi pour l’artiste. Depuis lors, il semble qu’il ait voulu se développer en ce sens, retrouver et prolonger des effets qui lui avaient une fois réussi. C’est l’impression que nous avions eue déjà en l’écoutant dans le rôle du marquis de Nesle de l’Enigme. Mais le rôle de Christian durait cinq minutes ; celui du marquis de Nesle dure une heure ; celui du marquis de Priola en dure trois. M. Le Bargy, depuis le milieu du second acte, commence à crier, et il ne cesse plus. Il crie, déclame, halette. C’est un long accès de frénésie. La voix lui manque : on ne l’entend pas. Qu’il sache bien qu’on ne l’entend pas ! Des mots, des phrases entières ne parviennent pas à l’oreille des spectateurs les mieux placés. On fait un effort d’attention des plus pénibles. L’acteur se donne visiblement un mal de tous les diables ; c’est son affaire ; mais, nous aussi, il nous fatigue. Dans ce jeu, il n’est