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REVUE DRAMATIQUE


COMEDIE-FRANÇAISE : Le Marquis de Priola, comédie en trois actes, par M. Henri Lavedan. — GYMNASE : Le Détour, comédie en trois actes, par M. Adrien Bernstein. — VAUDEVILLE : La Passerelle, comédie en trois actes, par Mme Fred. Gresac et M. Francis de Croisset.


Peindre un caractère au théâtre, c’est refaire un portrait, déjà vingt fois exécuté par d’autres, et qui restera toujours à recommencer. Car la nature humaine n’est guère variée dans ses traits essentiels, mais ceux-ci ne cessent de se modifier légèrement sous l’action du milieu social ; le cadre a changé, le portrait ne s’y adapte plus, il faut les remettre d’accord. Aucun travail n’exige plus de véritable invention et d’originalité. Aussi fallait-il quelque hardiesse à M. Lavedan pour tenter de remettre à la scène le caractère de don Juan : à tout prendre, il y a réussi. Le Marquis de Priola est une comédie vigoureuse et incomplète, brillante et dure, saisissante et pénible, et à laquelle on peut faire toute sorte d’objections, mais dont on ne peut contester le mérite. C’est une œuvre digne du talent de son auteur. Enfin ! Il y a assez longtemps que nous l’attendions. Depuis le Prince d’Aurec, M. Lavedan n’avait guère fait que gâcher et compromettre en de fâcheuses aventures des dons remarquables. Cette fois, il a ramassé les ressources diverses et en apparence contradictoires de son talent et il les a combinées en vue d’écrire une pièce qui eût vraiment la marque de son esprit.

Car le talent de M. Lavedan nous déconcerte d’abord par une sorte de surprenante dualité. Il y a deux Lavedan, dont l’un semble la contre-partie de l’autre. L’un, peintre de mœurs qui n’est curieux que des mauvaises mœurs, ne s’intéresse qu’aux formes variées de notre corruption, ne se lasse pas de nous en remettre les images sous les yeux, en multiplie à plaisir les exhibitions effrontées, sans doute