Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/926

Cette page a été validée par deux contributeurs.
920
revue des deux mondes.

et viriles distractions, propres à occuper l’imagination et à pacifier les sens. Il s’agit plutôt des qualités morales telles que le courage, la hardiesse, le sang-froid, la patience, que sa pratique peut acclimater chez l’individu. Quand même ce gain serait aléatoire, tout le monde admettra qu’il existe en bien des cas ; le sport l’a souvent produit ; or, il n’a jamais rendu personne poltron, ni hésitant ; à cet égard, qui n’y gagne pas, est toujours sûr de n’y point perdre. De telles qualités, essentiellement utiles dans la vie militaire, se révèlent parfois spontanément chez l’enfant et, pour les faire naître, il y a, dans tous les cas, l’exemple et l’enseignement ; mais rien ne vaut encore la pratique. L’exemple fera souvent défaut et bien des exemples inverses en affaibliront la portée. L’enseignement est une puissance. En ce temps de science pure, il est de mode de prendre en pitié le professeur de lettres qui vivait dans le commerce des héros antiques et en apprenait le culte à ses élèves ; beaucoup de force morale jaillissait pourtant de cet enseignement-là. Mais, encore une fois, rien n’égale le moyen offert à un garçon de s’exercer, de s’entraîner lui-même ; le sport est pour lui une sorte de gymnase moral où le progrès s’opère insensiblement, où, tenté par l’occasion toujours présente, poussé par l’émulation de ses compagnons, il a chance de se laisser gagner peu à peu par le charme de l’effort. J’ai suivi jadis, avec un intérêt passionné, la transformation véritable opérée chez un adolescent renfermé, timide et nerveux ; l’instrument de sa rénovation fut une simple barrière, de celles qu’on emploie au Racing Club, pour les courses de haies. Cette barrière l’hypnotisa toute une année. Il aurait donné je ne sais quoi pour la franchir et n’osait même pas l’aborder. Puis, il commença de s’exercer, en se cachant, ému jusqu’à trembler et maladroit en proportion. Sa victoire finale le libéra et le pacifia : il fut un autre être. On eût dit que la porte s’était ouverte de la prison où son caractère demeurait captif. Quand je le revis après son entrée au régiment, alerte et joyeux, je pensai quel soldat différent il eût fourni sans la petite barrière qui s’était si opportunément dressée en travers de sa route.

Le gain physique est donc certain et le gain moral est probable : mais il y a encore le gain social. Pourquoi celui-là ? J’entends d’ici l’objection. Ne peut-on faire du sport sans appartenir à des sociétés sportives, et n’est-ce pas là, justement, ce qui marque la frontière entre le raisonnable et l’exagéré ? Que l’individu se perfectionne physiquement et moralement par le sport, rien de mieux ; que, pour s’y aider, il se mesure avec des camarades, c’est parfait. Mais la Société, le Club, avec tout leur cortège de séances, de comités, de compétitions, d’élec-