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parvenir, en soupèse tour à tour les divers objets en réfléchissant profondément ? Aux yeux de l’écrivain britannique, c’est là le modèle des chefs : pour des Allemands ou des Français, ce serait un type plutôt quelque peu ridicule.

Tout cela ôte de la valeur à la réponse formulée par M. Rudyard Kipling, mais non point de l’importance à la question qu’il avait posée : question très actuelle, en vérité. Dans le plus militaire des États de l’Europe règne un empereur qui incite sans cesse ses sujets à la pratique de tous les sports ; un sportsman accompli occupe la présidence de la grande république du nouveau monde, après avoir trouvé dans une campagne fameuse l’emploi de ses facultés athlétiques ; enfin, dans presque toutes les armées, la place faite au sport va grandissant ; et, tandis que les officiers suédois courent sur leurs skis à travers les solitudes neigeuses, à Tor di Quinto, le Saumur italien, on s’adonne au rough riding. Empereur, président et officiers sont évidemment convaincus qu’ils préparent de la force nationale. Se tromperaient-ils ? Leur calcul serait-il faux ?

Pour apprécier l’action du sport sur la nation, il faut considérer le gain de l’individu : son gain physique, son gain moral et son gain social. Le gain physique est à peine discutable. On parle bien du surmenage musculaire de nos collégiens, comme jadis on parlait de leur surmenage cérébral. Qu’on me pardonne : je ne crois pas plus à l’un que je n’avais cru à l’autre. Ne seraient-ce pas les médecins qui créent ces agitations vaines et vides de réalité ? On leur conduisait naguère de petits anémiés dont la neurasthénie leur paraissait provoquée par l’abus du thème et de la version ; aujourd’hui, on leur mène quelques éclopés, en qui ils voient aussitôt les victimes d’un exercice exagéré. Mais il ne faudrait pas confondre l’infirmerie avec la chambrée et, si l’on fait le total des malades, il conviendrait de le rapprocher du total des bien portans ; c’est de quoi l’on ne s’avise jamais. Il y a huit ans, certains docteurs partirent en guerre sur ce terrain ; ils apportèrent au Congrès de l’Association pour l’avancement des sciences, qui se tenait à Caen, une effrayante nomenclature des ravages exercés par le sport dans les établissemens d’éducation. Or, sur les 70 associations scolaires que notre Union des sports athlétiques comptait alors, pas une n’avait été, de la part de ces messieurs, l’objet d’une enquête préalable. Que valaient ainsi leurs constatations et leurs diagnostics ?

En règle générale, le jeune garçon qui a reçu une éducation sportive un peu complète n’y a pas seulement gagné un développement