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la force nationale et le sport.

tive. Vis, la Force ! M. Rudyard Kipling en est grand partisan : en quoi il est, certes, de son époque. Le culte de la Force est devenu la religion du temps présent et puisse notre démocratie, grisée des grands mots de paix et de justice, ne pas payer trop cher l’imprudence qu’elle commet en se posant en champion d’idées qui semblent, pour le moment du moins, n’être plus en faveur dans le monde.

On a rappelé, ces jours-ci, — pour la centième fois, — le rapprochement oratoire, d’une authenticité d’ailleurs douteuse, par lequel le duc de Wellington aurait fait honneur aux joueurs de cricket d’Eton du gain de la bataille de Waterloo. Je citerai un autre mot, inédit, mais certain, car il a été prononcé par M. Gladstone, pendant une après-midi d’automne que je passai près de lui, il y treize ans : « Je ne crois pas, me disait le grand old man, avec un sentiment de fierté dont je n’oublierai jamais l’accent, qu’il existe un seul endroit de la Tamise où je ne puisse indiquer, en temps normal, la puissance du courant et la profondeur de l’eau. » De tels avocats plaideraient brillamment, s’il le fallait, la cause du sport contre M. Rudyard Kipling. Il importe de noter, du reste, que son réquisitoire n’emprunte qu’une médiocre autorité à la personnalité de celui qui le formule et aux circonstances dans lesquelles il a été composé. M. Kipling, à en croire du moins un chroniqueur bien informé, est un homme de petite santé, aux nerfs surexcités, au tempérament morbide et, s’il faut tenir ce portrait pour exact, ce n’est guère celui d’un homme de sport. Quant aux circonstances, elles seraient plus probantes, si les désastres subis par l’armée anglaise au Transvaal ne paraissaient imputables à l’ignorance du corps des officiers bien plus qu’au goût national pour les exercices physiques. Et qu’on ne s’imagine pas que l’une découle de l’autre. Les officiers ne sont pas, en Angleterre, gens très sportifs, à moins que suivre assidûment les courses de chevaux et y perdre de l’argent ne compte pour un sport ; l’athlétisme y fleurit, en général, dans des milieux plus sérieux et plus intelligens : celui-là, en revanche, détient le record de l’ignorance. Ignorance prodigieuse ! Elle dépasse tout ce qu’on peut imaginer ; elle tourne au dogme. L’officier anglais, dix-neuf fois sur vingt, se réjouit de ne rien savoir et s’en vante, encore qu’il ait de sa valeur intellectuelle une très haute opinion. M. Kipling du reste, qui, dans Stalky and C°, n’a pas craint d’exalter l’écolier paresseux, ne s’est-il pas attendri, dans une de ses plus jolies nouvelles hindoues, en traçant le portrait du brave capitaine qui s’épuise, depuis 365 jours, à trouver le moyen d’enlever quelques grammes au poids global du paquetage et du harnachement et qui, pour y