Comment ne pas avouer, après cela, qu’en dépit de la race ou du tempérament, deux écrivains chez qui se rencontrent de telles beautés, chez qui le sentiment de la fraternité humaine s’élève, selon la formule de Qu’est-ce que l’art ? à la hauteur d’un sentiment religieux, sont deux écrivains de même famille ? Hugo et Tolstoï ont ramené dans la littérature le sublime qui n’y avait point reparu depuis Corneille ; ils l’y ont ramené, et ils l’ont renouvelé. Le sublime cornélien était celui de la vertu stoïcienne ; il résidait dans la plus fière affirmation de la volonté et de la personnalité. Chez eux, le sublime est celui de la vertu chrétienne ; il réside dans l’effacement du moi, dans le sacrifice et le don absolu de soi-même à autrui, dans l’amour éperdu de tous les malheureux et de tous les coupables. Par là, leurs œuvres ne sont pas seulement de même sens, mais de même qualité littéraire : par là, elles sont trop belles pour n’être pas bienfaisantes, et l’on pourrait leur appliquer un mot profond que Hugo a prêté à son Myriel. Myriel, qui donne aux pauvres tout ce qu’il possède, a pourtant quelques fleurs dans son jardin. Voilà un carré inutile, lui dit sa vieille servante, Mme Magloire : il vaudrait mieux avoir là des salades que des bouquets. « Madame, Magloire, répondit l’évêque, vous vous trompez. Le beau est aussi utile que l’utile. — Il ajouta après un silence : Plus, peut-être. »
ANDRE LE BRETON.