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LA PITIÉ SOCIALE
DANS LE ROMAN

L’AUTEUR DES « MISÉRABLES »
ET L’AUTEUR DE « RÉSURRECTION »

Certains admirateurs de Tolstoï ont paru surpris et munie un peu fâchés qu’il existât de si visibles rapports entre Résurrection et les Misérables. Il était de bon ton parmi eux de médire de Victor Hugo, et les Misérables, en particulier, excitaient leur verve moqueuse. Qu’une œuvre aussi surannée, que ce « manuel du parfait garde ; national » pût avoir rien de commun avec les écrits de Tolstoï, c’est une idée qui ne leur venait pas. A la lecture de Résurrection il a bien fallu qu’elle leur vînt. Qu’ont-ils en effet trouvé dans Résurrection, qui ne fût déjà dans les Misérables ? Une créature déchue qui se relève ; des indigens, des forçats, des prostituées, tous les rebuts et toutes les victimes de la vie sociale rassemblés en un vaste tableau ; des bourgeois au cœur dur, des juges au cœur léger ; de candides révolutionnaires qui tentent de corriger le monde et qui meurent à la tache ; des scènes d’hôpital, des scènes de prison ou de bague ; et, par-dessus tout cela, à travers tant d’effrayantes ou désolantes visions, je ne sais quel grand souffle qui passe, souffle d’amour