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ladite île, si ce n’est pour en assurer la pacification, et ils se proclament résolus, sitôt cette pacification accomplie, à laisser le gouvernement et le contrôle de l’île à ses habitans. » Président, sénateurs, députés, journalistes renchérissaient à l’envi sur ce langage et déclaraient que le seul but de la guerre était bien la libération de la Grande-Antille. Si quelques personnes faisaient des réserves mentales en ce qui concerne Cuba et Porto-Rico, elles se gardaient de les énoncer, ne se sentant pas soutenues par l’opinion. Quant aux Philippines, nul n’y avait jamais songé. La masse du peuple américain repoussait encore, de bonne foi, en 1898, l’idée de se créer un empire colonial.

Seulement la guerre devait soulever tout un nouvel ordre de problèmes, donner conscience d’elles-mêmes aux ambitions encore mal définies. Les Américains s’aperçurent bien vite qu’il n’est point aisé de limiter les conséquences d’un conflit et de remettre les choses en leur premier état après les bouleversemens qu’il entraîne. Les Cubains n’étaient pas seuls mécontens de la métropole. Les Philippins et les Porto-Ricains ne l’étaient guère moins. Sans doute on n’avait pas entrepris la guerre en vue de les délivrer. Mais, puisque les circonstances de la lutte permettaient de le faire, pourquoi ne pas étendre à ceux-ci la protection qu’on avait accordée à ceux-là ? Fallait-il que l’Union remît sous le joug espagnol, livrât aux représailles de leurs anciens maîtres des peuples opprimés, qui avaient accueilli ses soldats en libérateurs ? Toutes les traditions des Américains, leur conception du gouvernement et des droits des peuples protestaient contre une pareille conduite, que l’opinion, quoi qu’on en puisse penser de ce côté-ci de l’Atlantique, aurait considérée chez eux comme une sorte de crime.

Ainsi les Etats-Unis se trouvaient amenés à ne rendre à l’Espagne aucune de ses colonies. Pour rester conséquens avec les motifs élevés qui les guidaient, ils auraient dû occuper les Philippines et Porto-Rico, tout comme Cuba, strictement le temps nécessaire pour y établir l’ordre, puis en remettre le gouvernement aux insulaires, en retirer leurs troupes et en reconnaître l’indépendance. Mais la victoire avait surexcité les ambitions ! On commençait à trouver, en Amérique, comme il arrive si souvent après une guerre, que ce qui est bon à prendre est bon à garder. L’opinion avait compris l’existence d’un lien entre l’annexion éventuelle des Philippines et des Antilles et les visées