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continuant pendant des journées, sans autre changement que celui de la lumière dont les teintes varient avec le soleil, finit par vous opprimer et vous éblouir. A mon retour au Caire, après trois semaines, j’en ai rêvé plusieurs nuits. Je n’ai jamais reçu du spectacle de la nature une commotion plus violente. Quant aux temples de la vieille Égypte, on ne peut rien voir de plus grandiose, de plus puissant.

Leurs ruines semblent un monde détruit, J’ai passé de longues heures à Karnak, admirant ces pylônes restés debout comme d’inexpugnables remparts, malgré les tremblemens de terre, les guerres féroces et les siècles, ces colonnes à demi brisées, ces statues colossales, pesant un million de kilogrammes, cassées en morceaux dont un seul suffirait à faire dix statues moyennes, ces obélisques renversés, ces sanctuaires mystérieux d’où le dieu est parti, ces sphinx qui, par milliers, composaient l’avenue des temples et que le sable recouvre aujourd’hui à moitié.

La constitution, l’architecture du temple égyptien m’a beaucoup intéressé. J’y ai retrouvé le type du temple hébraïque tel que Salomon l’avait édifié à Jérusalem, et, à ce point de vue, l’Égypte m’a aidé à mieux comprendre la Palestine. Le symbolisme judaïque lui-même, avec son tabernacle, son arche d’alliance, ses chérubins ailés, son arbre de vie, et tant d’autres choses, est un emprunt fait par Moïse au temple des Pharaons. Il l’a transfiguré par son inspiration divine, mais il l’a conservé presque en entier. Je n’ai pas vu, dans les temples d’Égypte, de traces de sacrifices sanglans. Les Egyptiens se contentaient d’offrandes, d’encens vaporisé et de libations. Les Juifs, au contraire, ont immolé en holocauste des milliers de victimes, et c’est en ce point que se distinguent profondément les deux cultes.

Les tombeaux des Pharaons sont une merveille d’art, avec leurs galeries percées dans le roc vif, avec leurs chambres sépulcrales, avec leurs sarcophages d’un seul bloc de granit et leurs momies royales, avec leurs hiéroglyphes gravés dans le granit plus poli que le marbre, avec leurs peintures murales aux couleurs aussi fraîches, après quatre mille ans, que si elles étaient d’hier.

J’ai vu la momie de Sésostris, le Louis XIV de l’Égypte, je l’ai touchée de mes mains, et j’en eusse emporté des reliques, si je n’avais en horreur tous les tyrans.

Malgré tout l’intérêt poignant qui m’attachait à la terre des