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là-haut avec tous les vôtres ; nous passerions ensemble des jours divins comme à Corbara, nous plaindrions la pauvre humanité qui s’agite et qui se tue, et nous regarderions le ciel plein d’étoiles où nous préparerions dévotement notre place éternelle ! Qu’en dites-vous ?

Les Normands, au milieu desquels je vis, sont de rudes et finaudes natures, avec leur teint rouge, leur forte mâchoire et leur nez allongé. Ils ont du renard et de l’ours. Je les évangélise comme si j’étais leur curé définitif, et, bien que je sois un X pour eux, ils trouvent que j’ai de l’esprit. Ce mot, pour eux, dit tout. Avoir de l’esprit, c’est être aussi fin qu’eux.

Quand nous reverrons-nous, mon cher ami ? Je ne rentrerai à Paris que le 17 : y serez-vous encore ? Faites-le-moi savoir d’une manière précise, afin que nous puissions dîner ensemble.

Je vous charge de tous mes complimens affectueux pour votre femme, d’un bon souvenir tendre pour vos filles, et je vous embrasse, vous, avec ma meilleure amitié.


29 août 1885.

Mon cher ami,

Votre lettre est venue me joindre à Sermaise, près de Bois-le-Roi. Je continue là, au milieu des braves paysans, mes fonctions modestes d’évangéliste des campagnes. J’ai prêché mardi, je prêcherai encore dimanche, et, d’un sermon à l’autre, je travaille au grand air, de longues heures. M. R… me donne l’hospitalité, et il me laisse une liberté absolue.

Je rentrerai à Paris lundi 7, dans la journée ; Combien je serais heureux si je pouvais vous retrouver tous, le soir même, à diner : J’espère que votre femme sera retenue encore jusqu’à cette époque et que je la reverrai avec ses filles avant son départ pour la Bourgogne.

La forêt de Fontainebleau est à cinq minutes de Sermaise : je vais m’y perdre souvent. La solitude est bonne ; les chênes sont hospitaliers. Je respire le même air tranquille que celui dont ils vivent, et j’apprends d’eux à me revêtir d’une rude écorce pour mieux lutter dans le grand combat de ma vie.

Et puis, les pensées arrivent en foule dans ce silence des bois : l’âme se sent mieux vivre et elle est plus près de Dieu dans cette nature que rien ne trouble.