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un double danger. Avant tout, la crise extérieure, la frontière, la Valteline, l’Allemagne. La France ne peut pas laisser les Espagnols achever, à ses dépens, l’entreprise de la domination universelle : elle a donc besoin des protestans et elle devra ménager leur concours. Mais les protestans peuvent troubler la paix intérieure : on tachera de les gagner ; mais, s’il est nécessaire, on n’hésitera pas à les attaquer, en s’appuyant, au besoin, sur les catholiques. C’est cette politique, cette politique française, cette politique royale, que Richelieu fait sienne, alors qu’il est encore dans l’opposition. Il attellera à son char les passions de tous pour faire, par leur ardeur même, le bien de tous. La religion, — catholique ou protestante, — devient, pour lui, à la fois fouet et frein. Il conduira tout le monde, d’une main ferme, selon ses propres expressions, « au but qu’il s’est proposé pour le bien de l’État. »

Il jouera donc, à la fois, les deux jeux, se tiendra à égale distance des deux thèses, n’inclinera vers lune ou vers l’autre que selon la nécessité pressante des circonstances ou le besoin urgent de l’action. Sa vertu suprême est la mesure. La politique française sera faite de souplesse, de finesse, de pondération : sa force sera dans sa précision. Il attendra, louvoiera, hâtant ou retardant la marche selon le temps, le vent ou les étoiles ; il aura pour mission, — affreuse existence, — de longer les précipices, de soutenir les orages, de remonter les courans. Pour employer une autre de ses expressions, il devra « comme les rameurs, aller au but en lui tournant le dos. » Le phare qu’il suit, c’est l’intérêt de la France : il ne voit rien autre chose, et, en bon pilote, il sait où il va, tandis que l’équipage s’irrite et se plaint dans la nuit.

Le double reproche que cette savante audace suscitera, il le brave. Il sait qu’il aura contre lui les violens des deux partis et que ce sera un cri universel. Mais il tiendra droit le timon ; car la contradiction apparente se résout, pour lui, dans la résolution arrêtée, par lui, de ne verser dans aucun excès. Les protestans vaincus seront de meilleurs Français, et on les traitera comme tels. L’Espagne abattue, la cause catholique reprendra en Europe une vigueur nouvelle. L’Allemagne du Nord contiendra l’Allemagne du Sud ; mais elle sera contenue elle-même par l’appui donné aux populations catholiques du Centre. La France combattra une entreprise de domination universelle, mais sans concevoir, à son tour, de si folles ambitions. Elle gagnera ses