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à revers la grande puissance catholique ! Trahison, impiété, lèse-chrétienté, violation de toutes les lois divines et humaines ! On mettait le Pape, et Dieu, contre la France !

En France même, quelle plainte, quelle désolation chez les meilleurs ! Ce peuple était catholique, et, tout récemment, ligueur. Que sa bourgeoisie fût sceptique et frondeuse, cela n’entamait pas les sentimens des masses. La Cour, comme le Roi lui-même, était non seulement catholique, mais dévote. A quoi bon les vœux à la Vierge et les pèlerinages à Notre-Dame-des-Ardilliers, si c’était pour aboutir à une telle catastrophe ? Les peuples aiment la paix ; les dévots veulent la paix catholique ; ceux qui s’appellent les « bons François » ne sont qu’une minorité bruyante. Comment susciter de pareilles complications, quand le pays ne dispose ni d’une armée, ni d’une flotte, ni de généraux expérimentés, ni de ressources pécuniaires, et quand on est, soi-même, un évêque en passe de la pourpre ?

Les seuls sur qui on puisse s’appuyer, les seuls qu’une pareille politique comblerait de joie, ce seraient précisément les hommes et les partis qui, de près ou de loin, se rattachaient à la cause protestante. Mais là, précisément, on retrouvait la grave et décisive objection qui se présentait, dès l’abord, à l’esprit. Ces deux politiques, celle de la lutte contre les protestans et celle de la guerre contre la Maison d’Espagne étaient contradictoires. Si on voulait réduire La Rochelle, il fallait s’arranger avec Madrid ; si on voulait combattre l’Autriche et l’Espagne, il fallait, au dedans et au dehors, s’allier et se confier aux protestans. C’était un dilemme.

Luynes l’avait bien compris. Contraint de choisir, il avait choisi. Il avait adopté l’une des deux politiques avec toutes ses conséquences, et, en somme, la décision prise par lui était conforme aux traditions nationales qui voulaient, avant tout, l’unité intérieure, conforme aux instincts religieux de la grande majorité du pays, et conforme, enfin, à l’idéal suprême de la royauté capétienne, descendante de saint Louis, fille aînée de l’Eglise et soldat du Christ !

C’est parmi ces difficultés et ces opinions diverses que Richelieu cherchait sa voie, ou, pour être plus exact, qu’il s’affermissait en son dessein. Aucune objection ne lui échappait. Mais son esprit pénétrant apercevait des conciliations intimes entre les thèses contraires en apparence : il démêlait les nécessités