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insurmontables que rencontrerait sa réalisation ? Pour les contemporains, la Maison d’Espagne était à l’apogée de sa force. Il fallait une perspicacité extrême pour deviner son prochain et rapide déclin. Elle disposait des richesses du monde. Les deux branches de la dynastie, tant celle qui dominait la péninsule ibérique que celle qui régnait sur l’Allemagne, étreignaient la France. On savait ce que valaient les vieilles bandes des Farnèse et des Spinola : elles connaissaient le chemin de Paris. Les rois d’Espagne nous avaient chassés de l’Italie. Ils s’étaient maintenus dans les Flandres ; la bataille de la Montagne Blanche venait de rendre à la branche autrichienne, avec l’Empire, ses États électifs et héréditaires d’Allemagne. Par l’avènement de Ferdinand et par l’unité de la campagne de restauration catholique, l’empire de Charles-Quint était, en quelque sorte, reconstitué. Qui oserait s’attaquer à un tel adversaire ?

La France ne trouvait même plus, en Europe, les concours qu’Henri IV s’était assurés. L’Angleterre de Jacques Ier n’était plus celle d’Elisabeth ; la Hollande, ayant clos la période héroïque de son histoire, était en proie aux plus graves discordes intestines ; les princes protestans d’Allemagne étaient divisés et leurs divisions avaient préparé leur ruine.

Aussi, on ne contestait guère la sagesse des vieux ministres de la Régente, qui, prenant le contre-pied de la politique de Henri IV, s’étaient rapprochés de l’Espagne. Le mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche avait scellé cette politique prudente et avait assuré à la France une longue période de paix dont tout le monde se félicitait.

Les peuples n’aiment pas la guerre ; la politique générale et les vues lointaines les laissent indifférens. Leur résignation, — ou leur ignorance, — attend l’avenir, la tête penchée vers la terre. Ouvrir, de nouveau, la période des hostilités, des hasards, des dépenses, des sacrifices, peut-être des défaites et des invasions, pour des craintes ou des visées incertaines et apparemment chimériques, c’était braver l’opinion des gens sages. Il fallait être bien sûr de ses propres idées, bien sûr du succès, bien sûr de la volonté royale, pour concevoir, même de loin, une entreprise si complexe et si hasardeuse.

El quel tolle dans toute la chrétienté ! Les Turcs menaçaient toujours l’Europe. L’Allemagne luttait contre toutes les forces hérétiques ; et c’est ce moment que l’on choisirait pour prendre