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être… » Il comprenait donc, dès lors, avec une lucidité merveilleuse, que cette triple tâche était l’œuvre royale par excellence.

Les Grands étaient les adversaires permanens de l’autorité monarchique. L’évêque les avait vus de près. Il avait travaillé avec eux dans cette entreprise générale de rébellion qui avait abouti à, la rencontre des Ponts-de-Cé. Il les connaissait donc. Il savait leur égoïsme imprévoyant, leurs divisions atroces, leur turbulence avare. Il savait que, parmi eux, il en était bien peu qui eussent au cœur le souci du bien public. Survivans d’une aristocratie qui avait autrefois soutenu l’édifice compliqué du régime féodal, ils ne songeaient plus qu’à sauver les débris d’une autorité inutile et épuisée. Ils combattaient sans chef, sans programme et sans espoir ; leur agitation n’était qu’une vaine turbulence. Toujours prêts à se conjurer, mais toujours disposés à se vendre individuellement, ils formaient à peine un parti. Cette étrange aristocratie n’était même plus libérale. Les grandes familles du siècle précédent, les Condé, les Guise, les Châtillon étaient prêts pour la servitude ; seulement ils voulaient la servitude dorée. Pour les tenir, on prodiguerait l’or ; mais, si quelque ambition attardée ou quelque vertu farouche ou trop exigeante se montrait intraitable, on saurait, comme Tarquin, raccourcir les têtes pour assurer la tranquillité publique. Richelieu, au lendemain de la déroute des Ponts-de-Cé, avait déjà calculé, nous l’avons vu, ce que cette rébellion, à laquelle il avait participé, eut pesé devant la menace du bourreau. Grand niveleur, et précurseur de l’œuvre démocratique, il abolirait ces « pouvoirs intermédiaires, » qui obstruaient, de leur encombrante et dangereuse inutilité, les relations entre le Roi et les peuples.

Avec les protestans, le problème était singulièrement plus compliqué. Certes, il ne pouvait être question de leur laisser la paisible jouissance des avantages politiques que la gratitude de Henri IV et la lassitude du pays leur avaient accordés temporairement, à la fin des guerres de religion. Ils se réclamaient sans cesse de l’Edit de Nantes : mais l’Edit de Nantes n’était qu’une trêve, un engagement à temps, renouvelable et modifiable à chaque échéance. La France ne pouvait être forte, tant qu’elle renfermerait dans son sein un corps organisé, en pleine paix, sur le pied de guerre, avec chefs indépendans, cadres militaires, places fortes, budget et justice à part, armée toujours prête à