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des raisons d’ordre intérieur, aucun des deux grands partis politiques américains ne désirait, du reste, cette extension de territoire. Tout entiers à l’œuvre de leur développement économique, disposant d’une immense étendue de terres où chaque jour faisait découvrir de nouvelles richesses, les États-Unis s’occupaient de moins en moins de politique étrangère ; ils ne paraissaient pas se soucier de s’agrandir. Même du côté des Antilles, sur lesquelles ils avaient eu jadis des convoitises peu dissimulées, ils semblaient s’effacer : l’un des principaux motifs de leurs ambitions sur Cuba au milieu du siècle, c’avait été le désir des hommes du Sud, qui gouvernaient alors l’Union, d’y introduire de nouveaux États à esclaves, dont les intérêts seraient identiques aux leurs et dont les votes fortifieraient leur prépondérance ; depuis la guerre de sécession et l’abolition de l’esclavage, ce motif n’existait plus. Le Mexique, dont on avait aussi prédit l’absorption par les États-Unis, se fortifiait, s’enrichissait et semblait s’assagir sous la présidence de Porfirio Diaz, et la masse de l’opinion américaine paraissait peu disposée à s’incorporer une nombreuse population, difficilement assimilable. Bref, on en était venu à penser, il y a une dizaine d’années, que l’Union ne s’étendrait plus. C’était l’opinion très nettement exprimée, sauf quelques réserves concernant l’avenir lointain du Mexique, par M. James Bryce, l’homme qui possède en Europe le plus d’autorité sur les choses américaines, l’auteur du plus remarquable ouvrage qu’on ait écrit sur les États-Unis depuis la Démocratie en Amérique de Tocqueville et les Lettres sur l’Amérique du Nord, de Michel Chevalier.

M. Bryce ne faisait d’exception que pour un petit archipel du Pacifique, les îles Hawaï. Depuis le milieu du XIXe siècle, le gouvernement de Washington avait fréquemment laissé entendre qu’il considérerait toute tentative sur cet archipel de la part d’une puissance étrangère comme une menace pour ses côtes occidentales ; il était aisé de prévoir qu’il l’occuperait lui-même un jour pour parer plus sûrement aux velléités de ce genre, d’autant que les Américains étaient nombreux dans les îles, dont ils détenaient les neuf dixièmes du commerce extérieur et qu’ils avaient couvertes de plantations de canne à sucre. Mais il eût été excessif de considérer comme l’indice d’une politique d’expansion l’annexion probable de cet archipel restreint, acte qu’on pourrait interpréter comme une simple mesure de défense