Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/848

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fortune s’était abîmé devant ses yeux, pour lui servir de leçon. Il devait garder, de cette heure, le souvenir et, un peu, le tremblement.

Il n’avait fait que passer au ministère ; mais il y était resté assez longtemps pour connaître l’aspect qu’ont les hommes et les affaires, quand on les voit de haut. Désormais, quoi qu’il advînt, il devait rester ministre et responsable pour la vie. Ces sortes de natures trouvent, dans l’investiture du pouvoir, une désignation qui les consacre à jamais. Il se devait donc au pays, à la France. Ce sont là de ces vocations exigeantes qui ne laissent plus de place à aucun autre engagement humain. Entre de tels hommes et les généra lions qui les voient paraître, il y a contrat tacite. Celles-ci savent qu’elles peuvent disposer, sans réserve et sans scrupules, de ces serviteurs que la destinée leur envoie même si elles les frappent injustement, elles savent qu’elles les retrouveront toujours. Ils s’inclinent devant la volonté du maître, c’est-à-dire du pays. On dit ces natures ambitieuses : leur ambition est de servir.

À cette époque, il n’y avait qu’une façon de servir la France : servir le Roi. Louis XIII, faible, timide, bègue, presque impuissant, avait montré, cependant, dans l’affaire du maréchal d’Ancre, qu’il était le Roi. Ce jeune homme dissimulé était, par lui-même, de ceux qui ont le dernier mot. D’ailleurs, les qualités ou les défauts personnels du prince s’absorbent, en quelque sorte, dans sa dignité. Les grandes situations et les grandes responsabilités soutiennent les esprits médiocres ; et, quoique Louis XIII fût d’une intelligence assez courte, il avait le cœur royal : haut, ferme et froid.

Donc, pour être et pour agir, il fallait se tenir au plus près de la personne du prince. Le Roi représentait, dans son royaume, l’unité, l’autorité, l’avenir ; il était le seul pouvoir permanent et obéi. Il n’existait d’ordre que par lui. D’où il suit qu’il n’y avait pas d’autre façon d’être quelqu’un, pas d’autre façon d’être utile, pas d’autre façon de se consacrer à la France que d’être royaliste. Et royaliste à fond, sans réticence ; royaliste de foi, d’âme, royaliste passionné : la passion royaliste était la passion patriotique.

La nation n’était unie en dedans, forte au dehors que si le Roi était absolu. On l’avait bien vu au temps de la Ligue ; la désobéissance au pouvoir était le commencement de tous les