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main vigoureuse, avec cette brutalité familière permise à l’ami et au capucin.

Mais, de cela, il n’était nul besoin : malgré l’opposition de l’évêque à la politique de Luynes, malgré les indices qui révélaient sa participation à la guerre de libelles, malgré le ton assuré de Fancan et de ses amis, aucun doute n’était émis au sujet des sentimens scrupuleusement corrects de Richelieu. Les catholiques le considéraient, unanimement, comme un de ces prélats illustres appelés, par leurs vertus, leurs mérites et une désignation quasi providentielle, à prendre, dans les Conseils du roi de France, la place qu’avaient occupée, dans les siècles passés, tant de lumières de l’Eglise. Rome même, toujours si bien renseignée, n’avait aucun doute. Au moment même où la lutte était la plus acharnée entre les deux partis, en dépit de l’animosité des ministres et malgré les mauvaises dispositions de Bentivoglio, le Pape recommandait au nouveau nonce, Corsini, partant pour Paris, de se confier surtout au cardinal de La Rochefoucauld, « et à l’évêque de Luçon. »


IV. — LES IDEES DE RICHELIEU

L’année 1621 est climatérique dans l’histoire de l’Europe ; elle est décisive dans la vie de Richelieu. L’importance des événemens qui se déroulent, la grandeur extraordinaire des problèmes qui se posent, la vivacité des passions qui se heurtent, tout l’excite ; il est en pleine force et le cortège des amis et des admirateurs lui crie, de partout, que son heure approche. Il arrête ses résolutions, ses desseins et ses projets, car son clair esprit ne peut supporter, surtout en lui-même, la moindre obscurité.

Il est gentilhomme ; il est soldat ; il est prêtre ; un cœur français bat en lui. Les siens ont toujours servi la cause royale. Sa jeunesse avait connu les misérables temps de la Ligue et sa brillante adolescence avait vu les dernières et heureuses années du règne de Henri IV. Ses mérites éclatans avaient attiré l’attention de ses collègues, puis celle des grandes assemblées, enfin la faveur de la Reine : il était entré, une première fois, au ministère. Il avait pu croire, un instant, que, dans la vie, le mérite saisit et arrête le succès. Une terrible catastrophe l’avait ramené à une plus juste appréciation des réalités. Le comble de la