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sa plume ferme et prompte donne le tour à la pensée de l’ami.

À partir de l’époque où ses conseils millions ramenaient l’évêque de l’exil d’Avignon pour traiter de la paix à Angoulême, il ne le quitte plus, et les rapports de ces deux hommes froids sont empreints, dès lors, d’une calme et joyeuse cordialité. Richelieu lui donnait, en riant, le sobriquet d’ « Ezechieli, » probablement à cause de ses airs de prophète. Sur le même ton plaisant, il l’appelait encore tenebroso-cavernoso. » Le capucin était, en effet, terriblement sérieux avec tout le monde. Mais, auprès de l’évêque, son cadet, il se déridait, et son âme attentive se penchait sur cette jeune et élégante destinée, comme sur celle d’un enfant cher : « Tenez pour vrai, écrivait-il aux capucins, que le bon personnage duquel vous me parlez et auquel je fis ouverture de l’affaire de Dieu (la croisade contre les Turcs) est in visceribus meis ad convivendum et ad moriendum. Faites près de lui (de Dieu) qu’il croisse chaque jour en la sainte résolution d’employer pour lui les talens considérables qu’il lui a donnés… J’ai vu cet aiglon pendu à l’ongle et approcher des rayons du soleil sans cligner les yeux. » On voit bien, dans ces paroles si rares, que ce qui séduit le Père Joseph, c’est la beauté extraordinaire de cette intelligence, de ce caractère hardi, de cette organisation puissante, ailée et forte, où il reconnaissait une des œuvres les plus parfaites du Créateur. Le bon Père se croyait tenu, en conscience, d’admirer et d’aimer.

Dans son dévouement à la personne de Richelieu, le Père Joseph mettait l’abandon, le renoncement, l’esprit de sacrifice habituels aux fortes passions. Sa propre intelligence et sa propre volonté, si belles pourtant, se perdaient, en quelque sorte, dans l’intelligence et dans la volonté de son ami. On était étonné de voir, chez un homme d’un tel mérite, une telle abnégation. Rome, habituée au dévouement aveugle des religieux, ne cachait pas sa surprise : « Ce capucin, écrira bientôt le cardinal Spada, est peut-être un homme de bien ; c’est certainement un négociateur habile ; mais sa façon de négocier est pleine de réticences et de faux-fuyans. Il ne fait qu’un avec Richelieu ; mais si, dans cette union intime, l’amitié est égale des deux côtés, l’influence ne l’est pas, le religieux subissant celle du cardinal plutôt qu’il n’essaye de la soumettre à la sienne. »

Cette appréciation portée sur le rôle et la personnalité du