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est à Rbât, auprès du Chérif, et l’on parle d’avantages douaniers ou commerciaux, voire de concessions de chemins de fer, qu’elle chercherait à obtenir. Depuis quelques mois, des soldats réguliers paradent à Tanger, sous le commandement de sous-officiers anglais ; la mission militaire française semble réduite, de plus en plus, à son rôle de directrice de l’artillerie. Là est le danger actuel : nous ne doutons pas que l’Angleterre ne respecte, en ce moment surtout, le statu quo marocain ; mais, si nous la laissons prendre librement des hypothèques sur le Maghreb, si le gouvernement français, si l’ambassade que le Charlemagne vient de porter à Rbât, ne déjouent pas cette politique, la question marocaine, en dépit des apparences, ne sera plus entière. Nous aurons perdu la partie.

Néanmoins, nous ne pouvons croire, malgré ces symptômes alarmans, que pareil danger menace notre influence. Si le « partage de l’Afrique » n’est pas complètement achevé, les grandes lignes de démarcation sont déjà irrévocablement tracées et il semble admis que l’Afrique du Nord est le domaine réservé à l’expansion française, le « peculium de la France, » comme le disait naguère encore une revue anglaise, le Spectator[1], dans un article très curieux où elle suggérait une entente entre l’Angleterre, la France, l’Espagne pour une solution de la « question marocaine ; » l’auteur de cet intéressant travail conseillait à ses compatriotes de ne demander pour leur part aucun territoire, mais d’exiger la neutralisation des rives du détroit, dont la garde serait confiée à l’Espagne ; Tanger deviendrait port franc, et, pendant vingt ans au moins, les tarifs de douanes en vigueur ne seraient pas augmentés. Nous avons vu, d’ailleurs, que M. Silvela engage, lui aussi, son pays à une entente avec la France, seule capable de lui garantir qu’au cas d’un partage du Maroc, elle n’en serait pas exclue. La concordance de ces deux voix, parties l’une d’Espagne, l’autre d’Angleterre, est significative ; elle prouve que, de l’aveu même de ses rivales, la France-Algérie, avec son expérience déjà longue du gouvernement des pays musulmans, avec sa belle armée africaine, est seule en état, le jour où, d’une façon ou d’une autre, la « question marocaine » demanderait une prompte solution, exercer à Fez et à Marrakech une influence pacifique assez forte pour rétablir l’ordre dans l’empire, pour y assurer la sécurité

  1. Mai 1900.