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les jours heureux et restaurer la concorde, en accommodant aux besoins de l’Espagne d’Alphonse XIII, les grands souvenirs et les traditions héroïques des temps d’Alphonse le Saint et d’Isabelle ; des brochures, des conférences, une pétition aux Cortès, ont fait quelque bruit autour de ce dessein généreux. Soucieux de tenir compte du changement des temps et des idées, ce n’est plus une croisade que demandent les partisans de ce renouveau politique, mais l’établissement d’une sorte de protectorat sur le Maroc. Invoquant la parenté des races, malgré la différence des civilisations et des croyances, ils répètent volontiers qu’à eux est réservée la tache de civiliser le Maghreb, de le pousser dans la voie du progrès matériel et de le transformer en un grand État musulman protégé et dirigé par l’Espagne.

Malheureusement, ces nobles aspirations, si elles font honneur au patriotisme de ceux qui les ont conçues, ne tiennent peut-être pas assez compte de l’état politique et financier actuel de la péninsule et de ses intérêts au Maroc ; les plus intransigeans défenseurs des « droits » de l’Espagne reconnaissent eux-mêmes qu’aujourd’hui elle n’est pas prête à jouer, au Maghreb, un rôle prépondérant ; augurant mieux de l’avenir, ils se contentent de veiller à ce que, pour emprunter le jargon diplomatique, le statu quo soit strictement maintenu ; ils semblent ne pas s’apercevoir qu’ils travaillent ainsi contre les vrais intérêts de leur patrie et que le temps, en rendant de plus en plus difficile la survivance d’un Maroc indépendant et fermé à toute influence du dehors, ménagerait à l’Espagne, si elle écoutait leurs craintes et suivait leurs conseils, de cruelles déceptions.

L’opinion espagnole redoute, il faut bien le constater, les entreprises françaises au Maroc ; et cependant la France s’est toujours montrée respectueuse des glorieuses traditions de sa voisine ; elle a compati à ses malheurs, elle apprécie ses efforts pour rentrer dans sa voie historique ; elle ne méconnaît ni ce que réclament les intérêts, ni ce qu’exige l’honneur d’une nation généreuse et fière de son passé. Un accord avec l’Espagne est toujours apparu, chez nous, comme la condition de toute solution équitable de la « question marocaine. » Mais, surtout à notre époque d’impitoyable concurrence, les traditions les plus nobles et les plus généreuses ambitions sont donc d’un médiocre poids auprès du chiffre des affaires ou du nombre des cuirassés. Les Espagnols font grand état de leurs Presidios ; ce sont, disent-ils,