Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/802

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France ou l’Italie, ne peut admettre que la Grande-Bretagne, assise sur son rocher de Gibraltar, occupe la côte marocaine du détroit, ou même un seul point de cette côte, et possède ainsi la mâchoire inférieure de cette bouche formidable dont Gibraltar est la maîtresse dent. Et de même, il est certain qu’actuellement, la Grande-Bretagne ne permettrait pas qu’une grande puissance maritime prît position en face de Gibraltar et que Tanger, d’où la garnison anglaise tire chaque jour ses subsistances, appartînt à une nation rivale, car ce serait abdiquer cette royauté qu’elle prétend exercer sur les mers.

Mais la « question marocaine » et celle du détroit, si elles se touchent et s’impliquent, se débordent aussi mutuellement. Simples l’une et l’autre, si on les envisage séparément, elles se compliquent dès qu’on les confond ; ce sont, en effet, des problèmes de nature différente et, s’ils ont entre eux des points de contact, ils peuvent être, dans une certaine mesure, isolés l’un de l’autre. La « question du détroit » intéresse la politique internationale ; elle ne saurait trouver de solution définitive que dans une entente des puissances maritimes pour la garantie de la liberté de la navigation. Mais il suffirait que les nations intéressées se missent d’accord en vue d’assurer la neutralité des quelques lieues de côtes escarpées qui forment, en face du Djebel-Tarik et « le Tarifa, l’une des colonnes d’Hercule, pour calmer les anxiétés de l’Angleterre et les appréhensions des Puissances maritimes ; la « question marocaine » se trouverait, du coup, dégagée de tout ce qui la fait, a première vue, paraître inquiétante pour la paix du monde ; elle apparaîtrait ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire très simple. La France, qui est la voisine immédiate du Maroc et qui partage avec lui la domination des pays barbaresques, l’Espagne, qui allonge ses rivages en face des montagnes ri faines, qui possède Ceuta et les Presidios, ont, vis-à-vis de l’empire chérifien, une situation hors de pair ; elles y ont de grands intérêts politiques, qui ne sauraient être mis en balance avec les intérêts économiques des autres pays. Ceux-ci, éloignés du Maroc par leur position géographique, n’ont avec lui que des rapports commerciaux ; ce serait, par conséquent, leur avantage que le Maghreb entrât dans la voie des progrès matériels, s’ouvrit au commerce et aux voyageurs, devînt un pays consommateur et producteur ; il semble donc qu’ils ne devraient voir qu’avec plaisir une intervention européenne au Maroc, à la