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elles ; le musulman est venu, et le grand silence de l’Islam s’est étendu sur le pays ; il a fermé ses portes à la vie. Ce sont les brigandages, l’anarchie, les impôts écrasans et les exactions des caïds qui condamnent ce sol fécond à une stérilité artificielle.

Que le « Maghreb sombre « reste étroitement confiné dans son isolement » afin qu’il y ait un dernier pays où les hommes fassent leur prière[1], » un dernier pays où l’argent ne soit pas tout et où il soit permis au vagabond, drapé dans ses loques, de circuler au hasard de sa fantaisie, sans crainte du gendarme, nourri dans les mosquées et accueilli comme l’hôte envoyé d’Allah ! Sur quelles lèvres d’artiste ou de poète, au retour d’un voyage au Maroc, ne viendrait naturellement un pareil souhait ? Mais il serait dangereux qu’un sentimentalisme vague, et d’ailleurs discutable, vînt cacher à nos yeux les réalités du tableau, moins séduisantes que lorsqu’elles apparaissent à travers le prisme de l’imagination d’un Loti. Or, c’est un fait certain que notre civilisation européenne est, par vocation et par nécessité, conquérante, que la loi de sa vie économique l’oblige à chercher sans cesse des débouchés nouveaux et des terres vierges. Il semble impossible qu’au milieu du torrent de l’expansion européenne, qui bat ses cotes et qui l’entoure de toutes parts, le Maghreb puisse demeurer isolé, comme un îlot d’archaïsme. Alors que, jusqu’aux confins du monde, les peuples civilisés vont porter les produits surabondans de leur industrie et implanter des provins de leurs races, il paraît invraisemblable qu’il puisse toujours subsister, aux portes de la Méditerranée, un Maroc où ne pénètrent ni nos idées, ni nos voyageurs, ni nos marchandises.


IV

Ne pas agiter les problèmes qui dorment encore, c’est sans doute une sage maxime que l’Europe, engagée, en Orient et en Extrême-Orient, dans d’interminables complications, l’applique volontiers ; mais refuser de regarder en face les difficultés qui surgissent, attendre pour les résoudre qu’elles se soient envenimées, c’est s’acculer de gaieté de cœur à des situations inextricables et se préparer de pénibles surprises. Ne nous payons donc pas d’illusions ; quoi qu’on fasse aujourd’hui, la « question

  1. Pierre Loti ; Au Maroc p. 357. Paris, Calmann Lévy.