pillards venait-elle faire une incursion sur notre territoire algérien, razzier quelques-uns de nos indigènes, notre diplomatie adressait une plainte au sultan et lui demandait une indemnité, comme s’il avait été vraiment le maître de tout le territoire que nous appelons « Maroc. » Si cette étrange procédure n’avait eu d’autre inconvénient que de retarder indéfiniment la solution des affaires les plus simples, et de faire naître, entre le Maghzen et nous, d’incessantes difficultés, le mal eût été réparable. Mais ce sont les procédés de notre politique et les formules de nos chancelleries qui, peu à peu, ont donné, à cette fiction de « l’empire marocain, » un commencement de réalité ; c’est nous qui avons, de nos propres mains, dressé à côté de l’Algérie le fantôme d’un État organisé, nous qui, sur l’édifice fragile et lézardé de « l’empire » des Chérifs avons appliqué cette couche de chaux qui, au pays du Maghreb, prête aux masures croulantes et aux bicoques en pisé l’aspect monumental d’édifices de pierre capables de défier les siècles.
Sans cesse rendus responsables de méfaits qu’il leur était impossible de prévenir, les sultans, peu à peu, comprirent la nécessité d’augmenter leur autorité sur les marches lointaines de leurs domaines, d’avoir du moins les réalités avantageuses du pouvoir, puisqu’ils n’en pouvaient esquiver les responsabilités gênantes. « Je paye, donc je règne, » fut, si l’on ose dire, le raisonnement qui, d’instinct, s’ébaucha dans l’esprit des Chérifs ; et c’est ainsi que leur autorité réelle a quelque peu grandi, et que la conception qu’ils avaient de leur propre pouvoir, s’est, dans une certaine mesure, modifiée. Mouley-el-Hassan, par exemple, dans sa vie agitée, toujours à cheval et en campagne, comme nos rois capétiens, toujours en lutte contre la résistance berbère, a augmenté l’étendue du bled-el-maghzen, installé des caïds dans la riche vallée du Sous, tenté de rattacher « l’archipel » du Touât à sa domination. Quand, de sa dernière expédition, ses serviteurs eurent ramené à Rbât son cadavre à demi décomposé, mais maquillé, maintenu sur son cheval et faisant encore figure d’empereur, et quand, à la faveur de ce subterfuge, on eut proclamé son second fils Mouley-Abd-el-Aziz, l’énergique Ba-Hamed, organisateur de cette macabre mise en scène, continua la politique vigilante du sultan défunt.
La mort du grand vizir laissa sans guide l’empereur actuel ; très jeune, semblant plus soucieux de ses plaisirs que des affaires,