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en restent nominalement propriétaires. Se produit-il une vacance ? D’ardentes compétitions se font jour ; il est une « entre-colonnes, » pour l’attribution de laquelle deux ministres se querellèrent : l’un, la revendiquant pour un financier, l’autre pour un ambassadeur ; ce fut presque un conflit diplomatique.

Il est très malheureux que l’Opéra soit, pour une partie de l’auditoire, un rendez-vous mondain au lieu d’un plaisir musical. Si les abonnés et leur hôtes se souciaient davantage de l’œuvre que l’on représente devant eux, on obtiendrait de l’orchestre qu’il accompagne les solistes tout piano, sans couvrir leurs voix, des chœurs qu’ils prennent à l’action une part plus convaincue, des chanteurs qu’ils ne modifient pas à leur guise les mouvemens pour se faire valoir, et la renommée de notre Académie nationale y gagnerait en Europe. Les abonnés, qui font presque les trois cinquièmes de la recette et qui constituent l’élément stable de l’assistance, auraient à Paris la même autorité qu’ils ont dans n’importe quel chef-lieu de département, s’ils écoutaient.

Mais, comme l’Opéra est, suivant le dit usuel, « le dernier salon où l’on cause, » ce sont eux justement qui nuisent à l’audition lorsque, vers le commencement du troisième acte, les loges étant toutes garnies, la conversation devient générale. Le silence ne se rétablit un peu que pour le ballet. Il faut respecter les traditions, et les mêmes personnes, prodigues ici en épanchemens, n’ouvrent pas la bouche au Conservatoire, où la bienséance est de se taire.

D’un autre côté, il est très heureux, pour les recettes, que l’Opéra soit une mode, un divertissement de bonne compagnie, et il est très nécessaire qu’il reste tel. Des imprudens ont émis l’idée, pour profiter de l’affluence des demandes, de mettre les loges aux enchères ; ce qui, pensent-ils, augmenterait les ressources de notre première scène lyrique. Ils ne prennent pas garde que les plus riches, ou ceux qui dépensent le plus, ne forment pas nécessairement une élite. Si la majorité des adjudicataires se recrutait, ce qui est possible, parmi des Crésus de petite mine, mêlés à des demoiselles de mines connues, ces nouveaux abonnés, nullement flattés de figurer dans une telle salle, se dévisageraient avec dédain et s’estimeraient frustrés dans leurs calculs. Ils disparaîtraient à fin de bail, et l’Opéra, délaissé, tomberait.

S’il ne paraît pas possible d’élever le prix des places, il ne