quinze jours, avons-nous de la peine à retrouver nos souvenirs déjà atténués et nos impressions fugitives. Le discours de Saint-Etienne est un de ceux que les uns applaudissent de commande et que les autres sifflent, mais que tous ont oublié le lendemain. Toutefois il en reste un mot, sur lequel nous aurons à revenir dans un moment. M. Waldeck-Rousseau, parlant de l’application de la loi sur les associations, a dit qu’il n’était pas disposé à se payer « de vaines apparences et de subterfuges. » Il y avait là une menace : on verra comment elle a été exécutée.
Mais, si le discours de M. Waldeck-Rousseau a été une déception, il n’en a pas été de même de celui de M. Millerand. M. Millerand n’a pas parlé à Saint-Étienne. Il a attendu que M. le président du Conseil fût reparti pour Paris avec M. Decrais, et il s’est rendu alors à Firminy, avec M. le général André et M. de Lanessan. La comète ministérielle s’était dédoublée : chacun s’en était allé de son côté, avec sa queue. On avait remarqué, non sans quelque surprise, que M. le président du Conseil n’avait pas dit un mot du socialisme. Un oubli, de sa part, était d’ailleurs impossible, car M. Ledin, maire de Saint-Étienne, dans la réception à la Préfecture, avait pris soin de lui rappeler que cette question passe aujourd’hui avant toutes les autres. M. Ledin est un socialiste. Il se rappelait sans doute les discours, si différens de ceux d’aujourd’hui, que M. Waldeck-Rousseau prodiguait à la veille des élections dernières dans tout le département de la Loire, et à Saint-Étienne même : ils lui étaient restés sur le cœur. Le socialisme y était accusé de faire une « œuvre de mort. » « Notre parti, disait alors M. Waldeck-Rousseau, est, avec un sens que rien ne peut obscurcir, républicain et conservateur. » La réponse s’est fait al tendre, mais elle est arrivée à son heure, c’est-à-dire à un moment où M. Waldeck-Rousseau ne pouvait pas y répliquer. Quand M. Ledin l’a tenu devant lui à la Préfecture, il a commencé par lui déclarer que « la vieille et absurde formule : — La République sera conservatrice ou elle ne sera pas, — était absolument dénuée de signification. » M. Waldeck-Rousseau n’a pas bronché : il avait à côté de lui M. Millerand, qui le surveillait. Fort de ce silence : « La République, a continué M. Ledin, ne saurait évoluer ailleurs que vers le socialisme, que nous avons l’honneur de défendre et de servir, puisqu’il n’est autre chose que la pleine justice matérielle avec ses conséquences intellectuelles et morales. » Il fallait pourtant que M. Waldeck-Rousseau répondît quelque chose : qu’allait-il dire ? Il a dit que « si les hommes poursuivent le progrès social par des voies différentes, c’est une preuve