Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/673

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


V

Tous sont grands dans un monde où tout est grand. La Religion de l’Ame et la Religion de la Nature aboutissent à une Religion de la Vie. Chaque individu, exalté de toute l’omniscience et de toute l’omnipotence de Dieu, à ses propres yeux se glorifie et se divinise. Soudain il découvre du prix à toutes ses pensées, de la dignité à tous ses actes, de la lumière au fond de toutes ses heures. La science de tout homme est infinie. Nous en savons tous plus long que nous ne croyons. Si quelques philosophes à grandes visées, égarés par les aberrations transcendantales, font de leurs spéculations la mesure de la valeur humaine, rappelons-leur que « l’homme contient en lui l’âme du tout, le silence inspiré, la beauté universelle, l’éternelle Unité. » L’action de tout homme est importante. Les exploits des héros n’ont pas une signification plus profonde que mon action d’aujourd’hui. Si je vis ma propre vie avec loyauté et courage, si je laisse la loi traverser tout mon être et si j’aide le jour à se frayer un passage à travers les obstructions de l’habitude, de l’indifférence ou de la lâcheté, alors j’agis, moi aussi, d’une manière héroïque et je deviens une lumière silencieuse qui guide les autres dans le sentier de la sagesse et de la vérité. En obéissant aux instincts conducteurs, je suis un meilleur citoyen que l’orateur disert, le politique fougueux ou le philanthrope affairé, avec leurs prétentieuses interventions. La meilleure réforme est celle que j’accomplis en moi-même ; et la véritable action a lieu dans le silence. »

Que chacun estime donc et vénère à l’égal des plus grands génies celui qu’il a reçu en partage. Car nul ne peut douter de sa propre grandeur. L’obéissance et l’amour sont à la portée de tous. Nous recevons tous l’impulsion de « ce cœur universel auquel toute parole sincère est un hommage et toute bonne action une soumission. »

La qualité du sort n’a rien à voir avec la grandeur. Une destinée médiocre peut permettre l’essor des qualités les plus hautes : un comptoir vaut un champ de bataille pour l’exercice du courage, du coup d’œil ou du sang-froid. Il est impossible à l’homme de ne pas être grand. Le détail de ses pensées et de ses actions n’est rien, comparé à l’océan de sagesse ; et de pouvoir