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L’IDÉALISME AMÉRICAIN

RALPH WALDO EMERSON[1]

Dans les jeunes nations, impatientes de grandir et imitatrices des aînées, certains mouvemens de pensée, qui, chez celles-ci, furent l’œuvre des siècles, deviennent l’œuvre des hommes. Quelques esprits concentrent tous les besoins, toutes les aspirations d’une société en travail et en même temps toutes les ressources que l’antique sagesse des races semble avoir préparées pour elle. De tels hommes sont initiateurs ; ils éveillent l’intelligence et l’énergie. Leurs paroles, au moment où elles sont dites et à ceux à qui elles s’adressent, paraissent animées d’une vertu prophétique. On les accueille comme des oracles. Leurs obscurités sont lumineuses, et leur vérité, banale ailleurs, brille ici comme une révélation. Les contemporains parlent d’évangile et saluent un libérateur. Ils rappellent le prince des philosophes, le père spirituel du siècle. Ils datent de lui toute la pensée de l’époque, toute sa littérature, toute sa poésie. Plus tard, les étrangers, qui ignoraient cette gloire, l’approchent et s’en étonnent. S’ils essaient de comprendre cet enthousiasme, il leur éclairera l’histoire d’un temps et d’un pays mieux que tous les rayons divergens des talens individuels. C’est peut-être le cas de l’Américain Emerson. Nous commençons à connaître une littérature

  1. Emerson’s Complete Works. Riverside Edition. — Boston, Houghton, Mifflin and Cie, 1883-1884. 11 volumes in-8o.