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esclaves, de les faire travailler, chez soi ou chez autrui, et toute besogne exécutée par eux était autant de perdu pour l’ouvrier libre. Or, il est visible que la classe servi le ne cessa d’augmenter. Nous n’avons pas là-dessus de chiffres précis ; nous constatons seulement que les pays où (die se recrutait embrassaient un horizon de plus en plus vaste, et que, dans les derniers siècles de l’indépendance hellénique, elle s’alimentait jusqu’en Égypte, en Arabie, en Arménie, en Perse et en Sarmalie. Cette invasion continuelle de travailleurs exotiques, pour qui les maîtres cherchaient à tout prix un emploi, avait cet effet fâcheux d’accroître probablement l’embarras du paysan ou de l’artisan en quête d’occupation.

Pour remédier au mal, il eût été bon que l’État prît la défense de la main-d’œuvre libre ; mais il ne paraît pas que cette idée se soit présentée aux esprits ; l’État grec se désintéressa toujours des questions relatives au travail et laissa à l’initiative privée le soin de les régler. Il eût fallu surtout que la prospérité générale de la Grèce grandît dans une proportion plus forte que le nombre de ses esclaves ; car, alors, ces derniers n’auraient pas pu tout faire, et il serait resté de la place pour leurs rivaux. Le malheur est qu’à considérer les choses en gros, la Grèce semble s’être bien appauvrie après la conquête macédonienne. Le IIIe siècle avant Jésus-Christ vit éclore autour d’elle une multitude de royaumes nouveaux, sortis du démembrement de l’empire d’Alexandre, qui devinrent, eux aussi, des centres de production agricole et industrielle, et qui par là portèrent un rude coup à l’Hellade proprement dite. Celle-ci fut dépossédée partiellement de sa clientèle extérieure par des villes comme Alexandrie, Rhodes, Pergame. Elle perdit peu à peu ses anciens débouchés et elle ne sut pas s’en procurer d’autres. Le travail se restreignit de jour en jour et des signes de décadence se manifestèrent. Il y eut là une perturbation comparable aux troubles économiques qu’amène dans le monde moderne le développement rapide de certains États nés d’hier à la vie industrielle et commerciale. La Grèce fut incapable de résister à la concurrence dont je parle, et elle commença à pencher vers la ruine.

Une crise si grave força beaucoup de citoyens pauvres à s’expatrier. Ils allaient chercher aventure dans ces royaumes d’Orient dont on exaltait la richesse, et où ils ne risquaient pas de se sentir trop dépaysés, puisqu’il s’y trouvait des souverains