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yeux d’Hésiode, le travail n’est pas seulement une sauvegarde contre la misère, c’est aussi un moyen d’acquérir l’indépendance et la sécurité. Il vivait sous un régime fort oppressif, où rien ne protégeait la classe inférieure contre les iniquités des grands. Il comptait médiocrement sur la crainte des vengeances célestes pour leur inspirer le respect de la justice ; il avait plus de confiance dans les garanties que procure la richesse. C’est par elle qu’il espérait améliorer sa condition matérielle et sa condition sociale. Nous sommes ici en présence non pas d’un individu qui courbe patiemment la tête sous un joug trop lourd à secouer, mais d’un esprit libre que la souffrance excite à l’action, qui veut s’élever par lui-même, et qui attend tout de son travail.

Si ces tendances étaient alors communes en Grèce, on conçoit que les roturiers aient été à l’affût des occasions de s’enrichir. Or, l’agriculture ne leur en fournissait guère le moyen. La propriété foncière, en effet, leur était à peu près inaccessible. Un lien presque indissoluble unissait la terre à la famille qui la possédait. Elle était censée appartenir à la série des générations qui se succédaient, et le chef n’en avait que l’administration. Passant obligatoirement du père aux enfans mâles, indivisible et inaliénable, elle formait corps avec le groupe qui l’avait primitivement reçue, et les procédés qui contribuèrent dans la suite à la rendre plus mobile, la donation, le testament, la vente, étaient encore ignorés. Les particuliers avaient d’ailleurs intérêt à ce qu’elle ne sortît pas de leurs mains en un temps où toute fortune venait directement au sol, et l’aristocratie veillait au maintien de la vieille coutume, parce que son appauvrissement aurait préparé sa décadence. Il est donc certain que, sauf de rares exceptions, la propriété de la terre était fermée aux roturiers, et ce n’était pas par le colonat, par le métayage ou par le salariat agricole qu’ils avaient chance de faire fortune.

Heureusement, l’industrie et le commerce y suppléèrent. C’est, à ce qu’il semble, vers le VIIIe siècle avant Jésus-Christ que ces modes d’activité commencèrent à prendre quelque développement. Une des causes qui les favorisèrent, ce fut la disparition de la famille patriarcale. Sous l’influence de l’esprit individualiste, les diverses branches qui la composaient tendirent de plus en plus à s’isoler. Chaque ménage voulut avoir son foyer. Los enfans mariés, au lieu de vivre « à la même table, » ou, comme on disait jadis chez nous, « au même pot, » se séparèrent les uns