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sorte de tenure ; mais il serait bien étrange qu’elle l’eut seule connue, et il est probable que, vers le même temps, d’autres cités la pratiquaient également.

Esclavage, servage, colonat, voilà trois moyens que les riches avaient à leur disposition pour se soustraire au travail des champs, sans nuire à leurs intérêts. Même s’ils demeuraient les bras croisés, ils étaient assurés par là que leurs terres ne resteraient pas improductives et qu’ils en retireraient de toute façon un revenu normal. Un préjugé de défaveur s’attacha à la culture, du moment qu’elle fut surtout livrée à des mains servîtes ou mercenaires, et l’on s’accoutuma insensiblement à s’en décharger sur les classes inférieures. On préféra se consacrer aux occupations plus relevées de la guerre et de la politique, et ce fut un signe de noblesse que de ne rien faire. Quand les philosophes des siècles postérieurs insistèrent avec tant d’énergie sur les avantages de l’oisiveté, ils furent l’écho d’une opinion très ancienne. Ils essayèrent de la fortifier par des raisons morales ; ils prétendirent que le loisir était indispensable à l’homme pour perfectionner sa nature et s’exercer à la vertu ; mais le germe de leurs doctrines, sinon de leurs argumens, remonte à l’époque aristocratique.

Un poète qui paraît avoir écrit au VIIIe ou au VIIe siècle avant notre ère, Hésiode, nous renseigne sur les sentimens des petits propriétaires de Béotie. Il s’en trouvait dans le nombre qui avaient peu de goût pour le travail, comme son frère Perses, qui aimait mieux flâner au soleil ou dans les forges, s’endetter, faire des procès, mendier même, que de se donner du mal. Quant à lui, il avait un caractère tout opposé. C’était un paysan âpre au gain, ardent à la besogne, parcimonieux et égoïste. Nul n’a condamné la nonchalance avec plus de force que lui. « L’homme oisif, dit-il, est également en horreur aux dieux et aux hommes ; c’est cet insecte sans aiguillon, ce frelon avide, qui s’engraisse en repos du labeur des abeilles. » Il ne considère pas le travail comme une chose attrayante, mais comme une impérieuse nécessité. Si les dieux ne nous avaient pas caché « les ressources de la vie, » on pourrait « amasser en un jour de quoi se nourrir une année entière, » et laisser à l’étable ses bœufs et ses mulets. Mais la divinité en a décidé autrement. Elle a voulu que la faim fût « la compagne inséparable de la fainéantise, » et c’est pour l’éviter que nous sommes condamnés à peiner sans cesse. Aux