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la population. Elle se devait tout entière à l’État ; ses obligations civiles et militaires primaient tous ses devoirs, et par suite ses membres étaient perpétuellement exposés à être requis pour quelque service public. Il fallait donc qu’elle fût affranchie de tous les soucis de l’existence, pour être toujours en mesure de répondre à l’appel de la cité.

L’esclavage lui offrait à cet égard une ressource qu’elle avait déjà utilisée. Depuis longtemps elle avait coutume d’employer des esclaves sur ses terres ; elle en employa encore davantage, quand elle se fut peu à peu détournée de la culture. Auparavant, elle ne demandait à cette classe que des auxiliaires ; désormais, elle leur abandonna presque toute la besogne. C’est alors que le commerce des esclaves commença à s’organiser ; l’importation de ces travailleurs se fit d’une façon chaque jour plus régulière ; des marchés d’hommes s’ouvrirent un peu partout, et les propriétaires purent aisément se procurer tout le personnel dont ils avaient besoin. Les bras manquaient si peu qu’on en arriva à transformer le mode d’exploitation du sol ; on défricha les forêts et les terrains vagues ; on sema le blé et on planta la vigne là où il n’y avait eu jusque-là que des pâturages et des broussailles, et il n’est pas douteux que ce grand changement fut pour une large part exécuté par la main-d’œuvre servile.

On vit, en outre, apparaître une institution nouvelle dont on croit apercevoir le germe dans les poèmes d’Homère, mais qui ne reçut toute son extension qu’après lui ; je veux parler du servage. On a beaucoup discuté pour savoir comment il naquit et comment il se propagea. Je n’ai pas à entrer dans cette controverse. J’observe seulement qu’il n’y eut des serfs que là où il y eut une puissante aristocratie ; ils semblent avoir été créés par elle et pour elle. On les rencontre en Laconie, en Messénie, en Argolide, à Sicyone, en Crète, en Thessalie, ailleurs encore, sous des noms et avec des caractères divers. Voici les traits qui leur sont communs à tous. La condition du serf était intermédiaire entre la liberté et l’esclavage. C’était un homme du pays, que son maître ne pouvait vendre à l’étranger, et qui en revanche ne pouvait quitter le domaine où il était fixé. Il avait une famille, et, s’il n’était pas apte à posséder le sol, il était capable d’avoir des biens mobiliers, même du bétail. La loi protégeait sa personne, sauf peut-être à Sparte, où les hilotes étaient traités durement, parce qu’on avait une peur extraordinaire de