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possible aux étrangers et de faire tout chez soi. Si la famille ne comptait pas assez de bras, on se procurait des esclaves.

Homère signale peu d’esclaves qui soient nés dans la maison de leur maître. Presque tous sont des prisonniers de guerre ou des individus volés par les pirates. Ce malheur atteignait souvent des personnes d’un rang élevé. Eumée, le porcher d’Ulysse, était fils d’un roi, et l’esclave infidèle qui l’avait livré tout enfant à des navigateurs taphiens avait elle-même pour père un riche Sidonien. Plusieurs fils de Priam furent réduits en servitude parce qu’ils étaient tombés aux mains de l’ennemi. Hector craint que, si Troie succombe, sa femme Andromaque ne soit emmenée comme esclave à Argos ou en Thessalie, et de fait, quand la ville eut été prise, une foule de Troyennes furent distribuées entre les vainqueurs. Dans ces temps d’insécurité, nul n’était à l’abri d’un tel danger, et l’on devine aisément tout ce qu’avait de pénible pour ceux qui la subissaient une pareille déchéance. Si amère qu’elle fût, elle leur assurait pourtant un précieux avantage. Il n’était pas bon de vivre isolé au milieu d’une société exposée à tant de violences. Pour avoir quelque tranquillité, il fallait se rattacher à un groupe qui fût en état de protéger tous les siens, et, lorsqu’on n’avait plus de famille, le mieux qu’on pût espérer, c’était d’être admis dans une autre. Or, l’esclavage était un moyen, bien imparfait sans doute, de se créer une famille nouvelle. L’esclave était membre de la famille où il entrait ; il était, comme on disait, « l’homme de la maison, » et pourvu que sa situation y fût tolérable, il s’en accommodait assez vite, parce qu’il y trouvait une garantie contre les incertitudes de l’existence. Homère a peut-être embelli un peu les choses, et il est probable qu’autour de lui, il y avait de mauvais esclaves et de mauvais maîtres. Mais ce qui paraît avoir dominé, c’est, d’une part, le respect, le dévouement, l’affection ; de l’autre, la bienveillance et la douceur. Par suite de la communauté d’occupations qui rapprochait sans cesse le maître de ses gens, il s’établissait entre eux une sorte de familiarité qui tempérait les rigueurs de la servitude. Le travail, loin de contribuer à distinguer les personnes, comme il arriva plus tard, était le lien qui les unissait. On ne voyait pas dans chaque famille une poignée d’hommes libres exploitant sans vergogne la force physique d’une troupe de bêtes de somme qui n’auraient eu rien d’humain que le nom, mais plutôt une collection d’individus qui, malgré la différence des