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superbe avec des tilleuls séculaires qui n’ont rien que d’attrayant et de suave.

Je fais chaque matin le tour des remparts démolis, au grand air. Voulez-vous connaître en détail ma vie d’étudiant ? Je me lève après six ou sept heures de sommeil. Je prie, je prends une tasse de café, je vais par le plus long chemin à l’Université ; j’y assiste à trois ou quatre leçons : théologie, science, géographie, littérature à l’avenant. L’essentiel pour moi est d’entendre de l’allemand. A une heure de l’après-midi, je déjeune et je dîne d’un coup… A trois ou quatre heures, je reviens à l’Université où je recommence mon pèlerinage de cours en cours,… toujours afin de me bourrer les oreilles d’allemand ; à sept heures, je fais avec quelques collègues un tour à la campagne ; nous allons dans quelque village aux environs de Göttingen, à trois ou quatre kilomètres, nous mangeons une tranche de jambon cru, nous buvons de la mauvaise bière, et nous rentrons, chacun chez nous, vers onze heures.

J’habite ici une chambre en pleine lumière, en dehors de la ville, sur le flanc d’une des collines qui entourent Göttingen ; avec quelle joie, mon cher ami, je vous verrais à mes côtés, partageant mes travaux et mes promenades, oubliant les misères de la vie et regardant, de temps en temps, plus haut que terre, vers ce monde idéal, comme disent les Allemands, où se réfugient nos espérances, effarées par les douloureuses réalités de la planète !

Je suis très frappé par ce petit centre intellectuel. Chose étrange ! Rien ne vit ici que l’Université. Point d’industrie importante, point d’affaires… Les livres, les professeurs, les sciences, la pensée, y sont tout.

Les étudians se sentent chez eux ici. Un petit détail de mœurs : savez-vous comment ils font pour s’appeler ? Au lieu de monter un troisième ou un quatrième, ils sifflent. Chaque groupe d’amis a un sifflet convenu. Quand l’ami veut appeler son collègue, il s’arrête devant la maison et il siffle un air. Si le camarade est là, il bondit à la fenêtre et le colloque s’engage. Les étudians de Göttingen sont renommés pour leur humeur batailleuse. Chaque mois, il y a cinq ou six duels. Aussi, on les voit dans les rues, les joues balafrées, presque tous, promenant leurs cicatrices avec une sorte de fierté. Ils sont groupés en corporations diverses, qu’on distingue par la casquette aux couleurs