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l’Université, et, en témoignage de notre obéissance à l’autorité universitaire, nous avons tous défilé un à un devant ledit Recteur, et nous avons pressé sa main. C’était chevaleresque.

Me voilà donc, cher ami, passé simple étudiant berlinois, comme si j’avais vingt ans. Avouez qu’il y a de singulières choses dans la destinée.

J’ai fait ici la connaissance de quelques jeunes confrères, avec lesquels je complète mon éducation de langue allemande. Trois sont Hanovriens, un quatrième est de Breslau ; ils sont charmans. Nous vivons comme de vrais camarades, et ils s’étonnent qu’un homme de mon âge, connaissant déjà tant de choses et ayant vu presque toute l’Europe, soit encore à étudier. Je leur dis, derrière mon incognito, qu’un grand écrivain français, Rabelais, a écrit qu’il y avait des étudians de tout Age, puisque l’homme est fait pour étudier toute sa vie, et qu’au fond, il ne reste jamais qu’un écolier.

L’Université, en Allemagne, ne ressemble en rien à nos Facultés de France. Pas de phrases, pas de cours pompeux, pas d’éloquence superficielle, pas de dames venant applaudir un « Monsieur Bellac » quelconque. « Bellac » n’existe pas de ce côté du Rhin. Tous ces jeunes gens prennent des notes, écrivent souvent sous la dictée du maître, qui se préoccupe bien plus du fond des choses que de la forme oratoire.

Je commence, à force de pratique et de persévérance, à connaître mon allemand. Je me rends compte d’assez près aujourd’hui de l’état de l’opinion et des doctrines religieuses en Allemagne ; je serre tous les jours de plus près le but de mon long voyage ; et je bénis la Providence de m’avoir fait connaître, même si tard, ce que je vois de mes yeux.

J’ignore le moment précis où je quitterai Berlin. Cela dépendra de mon travail ; cependant, j’y serai certainement jusqu’à la fin de juin. Il faudra m’y écrire encore, cher ami, et me donner de vos nouvelles et de celles de votre cher petit monde. Je serai avec vous, en esprit, à la première communion de Jeanne, et je ne puis assez vous redire combien il me serait doux d’y assister en réalité. Dites-le à votre chère femme, en me rappelant affectueusement à son souvenir.

Voulez-vous aussi serrer la main de ma part à votre ami le colonel de V… ? Ce que vous m’écrivez à son sujet me touche beaucoup, et j’y vois un exemple nouveau de ce que peut, dans