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personnel pour servir le grand Empire. Autant nous sommes divisés et désorganisés, autant ils sont unis et hiérarchisés ici. Cela se remarque jusque dans les journaux. Je prends quelquefois un journal français et je le compare à ceux de la presse allemande. J’en rougis. Notre presse, c’est la guerre intestine des partis : elle étale sans pudeur aux yeux du monde entier nos divisions politiques et religieuses,… c’est l’anthropophagisme sans répit : la droite mange la gauche ; la gauche mange la droite. Le franc-maçon mange le prêtre ; le prêtre mange le franc-maçon. M. Gambetta mange M. de Freycinet, qui essaye timidement de manger Gambetta. Triste ! Triste ! Triste !

Il semble que les grandes idées dont vit un peuple se soient éteintes dans notre pays comme les étoiles dans une nuit noire. Il ne reste plus que des intérêts personnels affamés, des libres penseurs médiocres qui voudraient faire de la France une loge maçonnique, ou des croyans mal éclairés qui ne songent qu’à refaire une France d’autrefois.

J’ai peur, cher ami, de vous dire ces choses, tant elles sont douloureuses : mais je vous assure que c’est la photographie vraie de notre pays vu de loin, en dehors de la mêlée des partis et de l’autre côté du Rhin.

Ce qui me préoccupe surtout ici, comme du reste dans tout voyage, c’est la question intellectuelle et religieuse. L’Université de Berlin, à ce point de vue, est d’un intérêt immense. Bien qu’elle soit la plus jeune des vingt-trois Universités de l’Allemagne du Nord, — sa fondation ne date que de 1810, — elle est la plus importante par le nombre et la célébrité de ses professeurs, comme par l’affluence de ses étudians. Ils sont six mille. Savez-vous que j’ai voulu m’incorporer officiellement à l’Université de Berlin ?… et que j’y ai réussi ? J’ai ma carte d’étudiant. Ce n’est pas une petite affaire à mener à bien, mais, quand je veux une chose, j’arrive. La cérémonie officielle de l’immatriculation ne manque pas d’une certaine originalité et d’une certaine grandeur simple. Voici comment cela se passe : on adresse une demande au Sénat universitaire ; puis, au jour marqué, on se présente devant le Recteur magnifique, dans la salle sénatoriale. Nous étions une soixantaine. On nous a délivré une grande feuille, en témoignage de notre immatriculation ; le Recteur magnifique s’est ensuite levé : il nous a adressé quelques mots pour nous recommander de vivre studieusement et de faire honneur à