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Il y a des phases dans la destinée, mon cher ami, qui demandent un courage inflexible, une abnégation absolue : je suis au milieu d’une de ces phases. Mes convictions religieuses et morales me soutiennent, grâce à Dieu. Je porte l’épreuve sans défaillance et sans impatience ; je trouve même, à vous dire vrai, une paix surhumaine dans cet ensevelissement que le devoir m’impose. Le travail, un travail tenace, intense, donne aussi à ma retraite de grandes joies. Ces joies s’accroissent encore quand je pense que mes études seront utiles à d’autres et aideront plus d’un esprit à retrouver la lumière de Dieu.

Je n’ai rien d’égoïste en moi, cher ami, je ne puis me contenter de ma petite vie individuelle dans tout ce que je fais et dans tout ce que je veux ; dans mes travaux comme dans ma prière, je regarde non seulement les amis auxquels je voudrais donner tout ce qu’il y a en moi de meilleur, mais cette foule qui souffre, qui s’agite, qui se meurt et où il y a tant de douleurs inconsolées, tant de- misères à guérir.

Quand nous reverrons-nous ? mon pauvre cher ami ! Est-ce étrange que ma destinée puisse être de finir là sur un rocher, moi, un vrai guerrier de Dieu !

… Donnez-moi de vos nouvelles bientôt. Dites-moi comment vous allez, vous, votre femme, vos petites filles.

J’ai reçu une bonne lettre de Mme Cuvillier-Fleury : si vous la voyez, dites-lui que je lui répondrai prochainement.

Ma santé se soutient, malgré mille choses, mille fardeaux qui accableraient les plus vaillans : une force cachée semble me porter sur des ailes.

Merci de la Revue des Deux Mondes : je la reçois très exactement. Mon abonnement à la Revue Scientifique, chez Germer-Baillière, va finir ; soyez assez bon, mon ami, pour le renouveler.

Adieu, mon ami, je vous embrasse de tout cœur, et je serai bien heureux le jour où la cellule voisine de la mienne retrouvera l’hôte très cher qu’elle regrette et qu’elle voudrait tant revoir. À vous cordialement.


Corbara, 15 juillet 1881.

Mon cher ami,

Je serais très heureux de pouvoir, par votre intermédiaire, rendre service à ces excellens Pères qui me donnent depuis de longs mois une si parfaite hospitalité.