Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/607

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été épargnée ; vous ne voulez donc pas, ô Dieu, que je revoie mon fils ! Eh bien ! que votre volonté soit faite ! »

Quand on veut, comme je le veux, sauver et ramener à Dieu les âmes perdues, il faut se résoudre à tous les martyres ; je suis prêt et résolu. Tout broyé que je sois, je resterai indomptable.

Comme j’aimerais à vous revoir ! Mais je suis enchaîné. Il m’est interdit d’aborder Paris. Je vous tends la main, mon cher, noble ami ; je vous embrasse avec toute la tendresse d’un cœur accablé.

Pourtant, je suis fort, grâce à lame de ma mère que je sens vivre en moi. Adieu, tout vôtre.


Corbara, 22 mars 1881.

Mon cher ami,

Votre lettre adressée au Touvet est venue me rejoindre à Corbara.

Je suis toujours captif, toujours proscrit, toujours enseveli. Un ordre de mon Général m’a ramené dans cette solitude à laquelle la mort de ma mère n’a pu m’arracher qu’un instant.

On me laisse dans une incertitude absolue et dans une complète ignorance relativement au terme de ma réclusion. Je conserve une attitude respectueuse et silencieuse : j’accomplis sans murmure mon austère devoir, et j’attends l’heure de la justice de Dieu et des hommes… avec une inaltérable patience.

Je travaille, je prie, je vis en pensée avec ma pauvre chère morte à l’ombre de ce Mont Sant-Angelo qui, depuis mon retour, a pris un air funèbre et me fait l’effet du mausolée gigantesque de ma mère.

J’ai eu la nouvelle de l’affreux malheur qui a frappé votre excellent ami, M. de V… La vie humaine est parfois bien étrange. Le tragique y a une grande part. Certaines destinées semblent réservées pour l’infortune et la douleur. Je comprends la difficulté qu’éprouvent certains esprits à découvrir le Dieu Bon au milieu de tant de larmes qui jaillissent du cœur brisé de la pauvre humanité.

Je vous demande, mon cher ami, d’exprimer toute ma religieuse et affectueuse condoléance à M. de V…

J’espère que la petite Jeanne est tout à fait remise maintenant et que la mère et les filles sont en parfaite santé. Je prie